Je suis en seconde dans un lycée de province, j’ai 15 ans. Aujourd’hui, je sais que je suis homosexuel et je l’accepte. D’une certaine manière, je l’ai toujours su, tout en détestant cette attirance pour les garçons qui grandissait en moi.
Je vis dans une petite ville, assez bourgeoise, et la campagne aux alentours de la ville est peuplée d’un bon nombre de personnes âgées. Le lycée où je suis scolarisé est relativement fermé d’esprit, assez bourgeois lui aussi. En primaire, je ne fus que partiellement intégré car le sport ne m’intéressait pas et je n’aimais pas les jeux de confrontation. Je ne m’intéressais pas pour autant aux jeux féminins. Mon physique ne me plaisait pas, j’éprouvais donc de l’admiration pour les beaux garçons qui m’entouraient car j’aurais aimé être comme eux ; je n’avais cependant aucune réelle attirance physique pour ceux-ci.
A l’époque, il me paraissait déjà mal de regarder un garçon avec admiration (même si je ne savais pas grand-chose de la sexualité). J’avais donc peur de les regarder longtemps, de peur qu’on le remarque. En sixième, je fus forcé d’aller dans un collège d’un quartier sensible, bien que je ne fusse pas de ce milieu. Je devins très vite ami avec des filles plus qu’avec des garçons. Dans ce collège, l’homophobie était très marquée, et le jeu constant de tous les élèves était de prouver qu’un de leur camarade était homosexuel (ah! le sale « pédé », il m’a fait du pied…) tout le monde adhérait ou se taisait effrayé par le regard des autres, par les suspicions qui auraient pu porter sur soi. Certains professeurs jouaient aussi à ce petit jeu (je fus insulté de « pédé » par une prof). Les autres profs, eux, reconnaissaient tout juste que l’homosexualité était une chose légale. Je me rendais compte petit à petit que j’étais gay, mais n’ayant qu’un point de vue négatif sur le sujet, je ne m’acceptais pas et ne pouvais pas intégrer cette réalité, (bien entendu, je ne l’ai dit à personne), je ne pouvais à cette époque qu’imaginer être « normal ».
Jusqu’à l’automne 2010, je n’eus pas d’attirance sexuelle, ce ne fut qu’une admiration grandissante qui se mêlait à une haine de ceux qui avaient eu trop de chance, car j’aurais fait n’importe quoi pour devenir hétérosexuel. En octobre, je dus faire des recherches sur l’homosexualité : je fais partie d’un groupe de discussion entre lycéens et nous organisons trois fois par an un week-end avec des débats sur un sujet précis. Le thème de ce premier week-end était justement celui-ci. Pour préparer les débats, je me suis beaucoup informé, j’ai regardé des films sur le sujet, j’ai aussi regardé 5 films contre l’homophobie : je pense qu’ils devraient être diffusés régulièrement. Ils sont très efficaces contre les préjugés sur les gays et les lesbiennes. Nous avons ensuite discuté du sujet dans le groupe (qui comporte des élèves de plusieurs lycées de ma ville).
Tout cela m’a aidé à accepter le fait que je suis gay. Je me suis rendu compte que, d’une certaine manière, je l’avais toujours su sans savoir ce que c’était vraiment. Je n’ai parlé à personne de mon homosexualité. C’est à partir de ce moment que je fus réellement attiré. Je suis tombé amoureux (je crois au moins) d’un élève du lycée. Je ne lui parle quasiment pas car je le vois peu. J’espérais qu’il réaliserait un jour que je l’aimais. J’aurais préféré que les choses soient claires entre nous même si c’est peut-être suicidaire.
Dans mon lycée, beaucoup de préjugés, d’insultes, d’imitations des homosexuels me choquent. J’ai du mal à les supporter. Je subis pas mal de remarques moi-même.
Pendant quelques semaines, j’ai noté tout ce que j’entendais au quotidien. Voilà ce que ça donne :
– « Ça te fait quoi de penser à une bite ? »
– « Salut petit pedé… tu te reconnais, hein ? »
– Après que l’un de mes camarades a « compris » que j’étais homosexuel, et qu’il a quelque peu diffusé cette information :
– « Lucas, pédale »
– « Lucas, petit pédé »
– « Lucas, tafiole » … insultes au nombre de huit en quatre heures avant que je stoppe la rumeur.
– « Suceur de bites »
– « Si t’es pédé, dis le tout de suite, tu te casses de ce groupe »
– « Est-ce que t’es libre ? […] Benjamin voudrait sortir avec toi » (rires)
– Sur un ton sarcastique : « tu sais que je t’aime ma petite folle »
– « Lucas, t’es belle »
– « Tu sais que tu me plais … T’es libre ce soir »
– « Lucas, je t’aime » (rires)
– « Ça t’intéresse de coucher avec moi ? »
– Un camarade de classe tente de me caresser puis me dit d’un faux air charmeur : « Tu sais qu’on peut se sentir bien à deux… Tu veux que je me déshabille, hein ? »
– « Tu trouves pas qu’elle est bonne tom ? »
– « T’as pas envie de coucher avec Barth ? »
– « T’aimes les grosse queues ? »
– « Tais-toi, sinon je t’encule » (silence) « Ah ! ça t’intéresse, hein ? » (rires)
Contrairement au collège, au lycée mes amis sont majoritairement des garçons. Deux d’entre eux se sont montrés clairement homophobes mais ils n’ont pas du tout conscience que c’est un problème. Les autres, ça va, même si l’évocation d’un gay les fait sourire. On ne parle pas de ce sujet entre nous. Mais un de mes deux amis les plus homophobes a peut-être des suspicions sur moi. Il y en a deux (pas les homophobes) en qui j’ai confiance, car je les connais depuis 6 ans. Et j’aimerais leur dire que je suis attiré par les garçons. Mais là aussi la question est : suis-je réellement prêt ? J’en doute.
Mes parents ont presque 50 ans : mariés, catholiques peu pratiquants, mais croyants. J’ai deux frères de 17 et 19 ans. Mes parents évoquent parfois leur souhait de devenir grands-parents, ils semblent y croire. Aucun de mes frères n’a de petite amie. Il serait probablement plus évident de leur dire que je suis gay s’ils ont déjà de l’espoir avec un de mes frères. Mon frère de 17 ans n’est apparemment pas homophobe, car un jour, il est rentré du lycée quelque peu indigné après qu’un prof a dit que l’homosexualité était contre-nature à un élève qui venait de faire son coming out au lycée.
Mes parents ne parlent jamais d’homosexualité. J’ai l’impression que ce sujet dégoûte ma mère et les dérange un peu tous les deux. J’ai le sentiment qu’ils ne savent pas trop quoi dire quand on en parle. Ça semble un sujet très sérieux, pas drôle et « à prendre avec des pincettes » – car ils ne veulent pas paraître homophobes non plus. Je me souviens cependant qu’il y a sept ou huit ans, ils ont puni mon frère parce qu’il avait traité un voisin d’homosexuel. Ils lui avaient expliqué ce que cela voulait dire. Mes parents n’utilisent pas d’insultes homophobes ni de stéréotypes mais il leur arrive d’en rigoler (lors de soirées entre amis par exemple). Il nous reprendrons plus souvent si on dit « putain » que si on dit « tafiole« . Mon frère aîné est comme mes parents : il prend le sujet très au sérieux… mais il ne semble pas autant homophobe qu’eux, rien ne le montre en tout cas.
J’ai rencontré un garçon plus âgé, qui m’a parlé de son homosexualité (celui dont je parle brièvement plus haut) : je m’entends très bien avec lui, je le connais par l’école de musique, on se voit au lycée, nous avions aussi prévu de lutter contre l’homophobie ensemble…. Il a mis trois mois à me dire qu’il est gay ! Il m’a parlé depuis de son coming-out à ses parents : il l’a fait il y a six mois, à 17 ans. Et ses parents – qui je pense équivalent aux miens sur le sujet – lui ont fait comprendre qu’il ne fallait plus qu’il montre son homosexualité.
Je voudrais faire quelque chose dans mon lycée contre l’homophobie, je voudrais « décoincer » le lycée pour que nous puissions enfin parler quand nous en ressentons le besoin. J’ai fini d’écrire, je me sens mieux, je voudrais encore me confier mais, à qui ?
Témoignage reçu en décembre 2010
Le commentaire de C'est comme ça
Les articles que nous avons rédigés sur l'homophobie entre amis, dans la famille ou en milieu scolaire proposent un certain nombre de pistes pour répondre aux problèmes de Lucas*. Nous l'accompagnons personnellement depuis décembre pour l'aider à faire avancer la situation dans son lycée.
Trois éléments dans son témoignage méritent selon nous une réaction.
Le déluge d'allusions sexuelles que Lucas subit doit être particulièrement pénible à vivre. C'est profondément dévalorisant, aussi : tous ces mots le renvoient en permanence à des pratiques sexuelles, à des représentations où il n'y a pas de place pour les sentiments, l'amour. C'est du sexuel cru, bête, qui rabaisse. Ça le ramène à des actes auxquels il peut n'avoir aucune volonté de s'associer, en tout cas pas dans les mots et les formules qu'on lui inflige. C'est une forme de violence qui agresse l'imagination, l'image que l'on a de soi. En plus elle donne une image fausse des personnes homosexuelles, qu'elle suppose obsédées par le sexe, réduites à cette dimension. Comment vivre sereinement son orientation sexuelle quand on vous renvoie une telle représentation ?
Lucas écrit à propos de ses parents : "Il serait probablement plus évident de leur dire que je suis gay s'ils ont déjà de l'espoir avec un de mes frères." Ainsi que nous l'avons déjà écrit ailleurs, nous pensons qu'un enfant ne devrait pas porter le poids du désir de ses parents d'avoir des petits-enfants. Nous entendons bien le soulagement que cela peut représenter d'avoir des frères et soeurs. Mais comment font ceux qui n'en ont pas ? Et comment font les personnes stériles, célibataires, ou qui simplement ne souhaitent pas devenir parent ?
Par ailleurs, il nous raconte que ses parents ont puni l'un de ses frères dans le passé parce qu'il avait traité un voisin d'"homosexuel". Nous rappelons que ce terme n'est pas, ou ne devrait pas être, une insulte. Le considérer tel est une forme d'homophobie.
* : le prénom a été changé.
Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.