Amour / Coming out / Famille

Rien n’est perdu d’avance


Temps de lecture: 11 minutes

Bonjour!

Je m’appelle Nina*, j’ai maintenant 19 ans et ceci est la deuxième fois que je commence à écrire un témoignage pour ce site. La première fois, je ne l’ai pas envoyé, par peur que, malgré les prénoms changés, certaines personnes pourraient le lire et m’y reconnaître. Ce n’était sans doute pas très réaliste (les personnes en question ne fréquentent probablement pas ce site !), mais je suis tout de même contente de ne pas avoir envoyé le premier témoignage. Je n’aurais eu qu’une demi-histoire à raconter.

À l’époque, je lisais beaucoup de témoignages. Il y en avait qui disaient que tout s’était très bien passé (ce qui n’était pas réellement mon cas) et d’autres qui semblaient décrire l’enfer et me faisaient donc peur. Je simplifie, bien sûr, mais c’est ce que je ressentais. J’espère maintenant que, pour des personnes dont la situation est difficile, ce que j’écris sera encourageant. Ayez la force d’être ceux que vous êtes, surtout ne désespérez pas !

Quelques mots sur moi-­même : je suis Allemande, et je vis à Berlin. J’ai passé ma scolarité dans un collège/lycée (ce qui ne fait qu’un en Allemagne) AbiBac, donc bilingue français/allemand. En troisième, j’ai fait un échange de trois mois avec une nommée Victoire*, vivant à Lille. Après ces six mois (trois en Allemagne, trois en France) passés ensemble, nous ne voulions plus nous quitter. Nous nous disions des sœurs, il était décidé que plus tard, nous allions vivre ensemble (avec nos deux maris, bien sûr…), et les départs de chacune vers son pays étaient dramatiques et pleins de larmes. Nous nous disions des « Je t’aime ». Nous avons eu la grande chance de pouvoir faire un deuxième échange en seconde. D’abord, je suis retournée à Lille pour trois mois, puis Victoire est revenue à Berlin.

Il n’est plus, maintenant, une surprise que nous ayons fini par nous avouer nos vrais sentiments. Laissez­-moi quand même expliquer un peu mieux les circonstances. Je ne peux plus vous dire quand, pour la première fois, je me suis vraiment posé la question de savoir si, peut­-être, j’étais attirée par les filles. Il y a eu un moment, lors de mon deuxième séjour en France, ou Victoire m’a écrit une lettre (pour nous réconcilier après une dispute, si je me souviens bien). Elle l’a mise dans un de mes classeurs, donc je l’ai trouvée en cours (on n’était pas dans la même classe). Il y avait une phrase qui disait à peu près : « Quand plus tard on se mariera, tu seras toujours pour moi la personne la plus importante et je ferai n’importe quoi pour toi« . Il n’était pas précisé si nous allions nous marier chacune de notre côté ou…

Le vrai déclic ne s’est fait que quelques mois plus tard, à Berlin. Je pense qu’à ce moment­-là, cela faisait plus d’un an que nous nous comportions comme un couple, et nous étions de plus en plus proches physiquement. Il y a eu des heures passées allongées l’une à côté de l’autre, en se caressant, s’embrassant sur les joues, le front… Puis (je sais que cet ordre est paradoxal), il y a eu le premier baiser. À partir de là, nous avons encore mis une semaine (avec d’autres baisers) pour nous avouer que « en fait, on est ensemble, n’est­-ce pas ?« . L’idée avait été, évidemment, de plus en plus présente dans ma tête, mais sans me faire peur. Comme je n’avais pas peur de l’être, la question de savoir si j’étais lesbienne n’était pas très pressante : elle était présente, mais je ne cherchais pas réellement la réponse, j’attendais qu’elle vienne par elle-même. Ce qui est arrivé. Il y avait sans doute une partie de refoulement pour qu’elle mette aussi longtemps, mais ce n’était pas douloureux.

Je l’ai su à partir de ce premier coming­ out devant elle et devant moi­-même : pour Victoire, c’était bien différent. Ses parents s’étaient (ce qui est peu surprenant) rendu compte de combien nous étions proches. Avant qu’elle ne parte à Berlin, ils l’avaient « avertie » de ne pas faire de « bêtises » avec moi. Je ne sais pas tout ce qu’ils ont dit, ni comment, mais ils l’ont profondément blessée et intimidée, avant qu’elle soit elle­-même sûre de ses sentiments. Ce qui ne l’a pas empêchée de m’aimer ! Donc, pour elle, le processus du coming­ out intérieur était beaucoup plus conscient et plus douloureux.

Le drame se dessine clairement : deux filles, l’une Allemande, l’autre Française, vivant donc normalement à 800 km l’une de l’autre, âgées de 15 et 16 ans, encore deux ans jusqu’au bac et l’une avec des parents homophobes qui « s’en doutent ». Je me souviendrai toujours du départ de Victoire à l’été 2012. Nous savions que deux années difficiles nous attendaient, mais nous n’avions aucune idée de comment et combien ça allait être difficile. Entre l’été 2012 et l’été 2014, j’ai vu Victoire six fois, à chaque fois à Lille, trois fois en cachette, pour une semaine en moyenne.

Je suis infiniment reconnaissante envers mes parents qui, eux, nous ont soutenu autant que possible. J’ai fait mon coming­ out à ma petite sœur puis à mes parents deux semaines environ après que Victoire et moi sommes « officiellement » devenues un couple. Ils l’ont très bien pris. Ma mère a mis quelques mois à s’y habituer tout à fait et à pouvoir le dire à d’autres personnes. Mon père, lui, m’a dit un jour : « Désolé si, lors de ton coming out, je ne t’ai pas dit qu’on t’aime toujours autant, que ça ne changeait rien. Je pensais que c’était évident. » Mes amis aussi l’ont très bien pris, ça n’a pas l’air de faire une différence pour eux. Dans mon entourage, également parmi mes amis français, je n’ai fait aucune mauvaise expérience. Même mes grand­-parents, assez croyants, viennent de m’offrir un roman lesbien pour mon anniversaire, qu’ils ont lu et qui leur a beaucoup plu.

Encouragées par ces premières bonnes expériences, poussées par le désir de nous épanouir et de dire la vérité et conscientes que, pour nous revoir durant les vacances, nous allions avoir besoin du soutien des parents de Victoire, nous avons décidé de le leur dire. Je crains toujours d’avoir trop pressé Victoire qui, elle, craignait beaucoup ce moment. Quoi qu’il en soit, le moment a fini par arriver : j’ai rendu visite à Victoire, toujours en tant que « correspondante » (un terme qui me fait bien rire depuis !) à la Toussaint. Lors d’une balade, c’est le père de Victoire qui a commencé à nous parler de « gestes inappropriés » qui l’inquiétaient, en nous disant de faire attention. Mon amoureuse a alors pris son courage à deux mains et lui a dit la vérité. Il en a suivi une très longue discussion, douloureuse et désespérante pour tous. Je ne vous la décrirai pas en détail, vous aurez compris que non, mes beaux­-parents n’acceptaient pas. Ils ont avancé les arguments connus : ce n’est qu’une phase, vous êtres trop jeunes pour le savoir, ne faites rien que vous allez regretter plus tard, vous ne savez même pas si un garçon pourrait également vous plaire, ne vous déterminez pas. Quelques phrases prononcées au cours de cette ballade me semblent bien ridicule, mais le souvenir me donne toujours mal au ventre. Aujourd’hui, nous savons que mes beaux­-parents auraient préféré qu’on se taise, qu’on leur mente jusqu’à aujourd’hui. Cela aurait peut-­être simplifié les deux années passées, mais je ne pense toujours pas que c’était la bonne solution. Malgré tout, il fallait qu’ils le sachent, qu’ils s’habituent à l’idée, qu’ils aient le temps d’accepter avant que leur fille ne quitte la maison.

Donc, ces deux années furent l’enfer. L’enfer. Nous avons essayé je ne sais combien de fois d’engager la discussion, de faire réfléchir les parents de Victoire. Elle avait peur de ces discussions, peur que ses parents puissent encore lui parler du sujet, elle était terrorisée. Elle n’osait pas leur demander si elle pouvait venir me voir. Ils lisaient mes lettres, que j’ai donc dû censurer (j’aime beaucoup écrire des lettres, c’est plus personnel et plus romantique qu’un mail…). Ils ne lui permettaient pas de m’appeler. Nous avions raison de craindre qu’une des sœurs de Victoire pirate son compte Facebook ou sa boîte mail. Puis le fait de se voir en cachette : l’auberge de jeunesse ferme durant la journée, donc même en hiver nous étions tout le temps dehors, les vacances ne sont pas en même temps donc je l’attendais devant le lycée, il n’y avait aucun endroit privé, et surtout aucun endroit où on était en sécurité ; partout on pouvait rencontrer ses parents, être vues par de la famille ou des amis de la famille. Le pire était durant le temps des manifs pour tous : l’atmosphère dans la société était tendue, et pendant toute une semaine il n’y a pas eu un seul jour sans agression verbale voire même menaces d’agression physique.

Je ne vais pas vous raconter en détail les difficultés d’une relation à distance, les doutes, les craintes, les espoirs et les déceptions. Mais un aspect s’y ajoutait encore par rapport à un couple « normal », hétéro. On nous disait (surtout à Victoire) qu’on avait tort, qu’on n’était pas réellement amoureuses, qu’on allait découvrir notre hétérosexualité… Quand on ne voit jamais la personne qu’on aime le plus, il est difficile de se défendre contre ces questions. Si ces doutes concernant mon orientation sexuelle m’ont fait très mal et m’ont déstabilisée, ils étaient encore beaucoup plus violents pour Victoire. Maintenant que ces deux années sont terminées, je comprends peu à peu combien elle a dû être forte simplement pour ne pas tomber dans l’abîme de l’alcool ou de la drogue. Elle a mis plus de temps que moi, évidemment, pour se sentir à l’aise avec son orientation sexuelle. Heureusement, elle a trouvé une amie qui l’a beaucoup soutenue (à moi de comprendre que la jalousie est, à ce moment­-là, complètement inappropriée !) et elle s’en est sortie aussi grâce à de nombreux engagements politiques et sociaux (belle alternative à l’alcool, quand on y pense).
Ses parents ont progressé. Lentement, imperceptiblement. Je ne suis pas capable de vous dire vraiment comment, et quand. En été 2013 j’ai envoyé une très longue lettre à la mère de Victoire, essayant de tout lui expliquer, de remédier à son homophobie avec des arguments rationnels. C’est le père de Victoire qui me l’avait demandé lors d’une discussion avec Victoire et mon père. Je n’ai jamais eu de réaction. Le problème dans cette famille va bien plus loin que l’homophobie : c’est le problème de parents qui ne veulent pas lâcher leurs enfants, qui exigent que leurs enfants fassent tout ce qu’ils veulent en croyant que c’est pour leur bien.

Peut-­être qu’avec plus de recul je pourrai comprendre ce qui s’est passé. Rien n’a basculé. Je pense qu’ils ont de moins en moins regardé, moins contrôlé. Ils ont compris, même s’ils ne se l’avouent pas, qu’ils n’y changeront rien. La dernière grande lutte a été celle au sujet des études de Victoire. Ils auraient voulu qu’elle fasse telle matière, à telle université, qu’elle aille à Paris. Elle sait depuis la troisième ce qu’elle veut faire. Elle a réussi à faire ce qu’elle voulait, alors qu’on n’y croyait déjà plus. J’étais prête à la suivre jusqu’à Paris si nécessaire, faire une année au pair pour être proche d’elle, mais pour finir, elle a pu venir près de Berlin, comme on l’espérait.

J’ai passé une grande partie de l’été avec sa famille. Nous avons fait un maximum d’efforts pour être aussi discrètes que possible. Ses parents nous ont demandé de ne pas montrer des signes d’affection en public, ils nous ont même demandé de ne pas nous toucher du tout – nous avons interprété cela comme une prière à la plus grande discrétion en leur présence. Ils nous ont récompensé avec plus de libertés, des journées passées à deux. Je pense qu’il y a la volonté de se réconcilier avec moi, car avant, quand je n’étais que la correspondante, nous nous entendions très, très bien. Par Victoire, je sais qu’entre eux ils m’ont maudite, ils ne voulaient plus jamais me voir, moi, qui avais « ensorcelé » leur fille. Ces mots m’ont fait très mal, mais s’ils veulent se réconcilier, je le veux bien. Je pardonne, mais je n’oublie pas. Je ne pourrai plus jamais leur faire confiance comme avant.

Cet été, il y avait sans doute aussi une partie de pitié, car ils voyaient comment je me faisais sans cesse agresser par la sœur de Victoire, qui est devenue la pire homophobe de la famille. Mais maintenant, Victoire est près de moi. Bientôt, elle aura 18 ans. Peu à peu, elle essaye de mentir moins à ses parents pour rétablir une relation normale, mais ils ne savent pas vraiment, par exemple, combien on se voit. Ils préfèrent ne pas savoir, et nous préférons ne pas leur dire. Pour Victoire et moi, la liberté est enfin arrivée. Je suis heureuse, infiniment heureuse, tout va de mieux en mieux, avec ses parents, avec sa sœur. Nous sommes enfin ensemble. Durant ces deux années, j’ai découvert une partie de moi qui m’est devenue essentielle. Je ne peux pas dire « je suis enfin moi­-même » car je ne me suis jamais niée. Mais j’ai appris à être contente d’être lesbienne. L’expérience de cette histoire laisse des traces, ma confiance en moi a souffert, j’ai beaucoup changé. Victoire aussi. On n’a pas fini de s’en remettre. Mais cela fait maintenant deux ans et demi que cette relation dure, malgré les pires obstacles, et je suis certaine qu’elle durera le reste de nos vies. Rien n’est trop pour un tel but ! Voilà. J’espère que ce témoignage est encourageant. Quand il s’agit d’être celui qu’on est, il ne faut pas désespérer. Et il n’y a personne pour nous dire qui on est et ce qu’on ressent, il n’y a que nous-même pour le savoir. Les gens finissent par le comprendre, même si au début ils n’en ont pas l’air.

* les prénoms ont été modifiés

Témoignage reçu en novembre 2014

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.