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Mon homosexualité à moitié assumée


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Bonjour à toutes et à tous. Je m’appelle Émilie, j’ai 15 ans (bientôt 16) et je suis lesbienne. Aujourd’hui, je vis une relation fantastique avec une jolie jeune fille et je suis heureuse.

J’ai découvert que j’étais lesbienne à 14 ans environ. Quand je suis tombée dingue amoureuse d’une fille, au collège. Cette fille, je ne lui avais jamais adressé la parole. Et ce que je trouve étrange, c’est d’être tombée amoureuse d’elle en 3ème alors que les années précédentes elle était déjà dans mon établissement. Bref, au départ, je ne comprenais pas ce qu’étaient ces choses en moi qui chaque jour me donnaient envie de la croiser, pour la regarder, de me mettre à sa proximité pendant les récrés. Je ne comprenais pas pourquoi, et d’où venaient ces nouvelles choses. J’avais déjà eu des amoureux, mais c’était sans sentiments, rien. Et au fur et à mesure que les mois défilaient, je ne me voyais plus hétéro.

J’ai confié à ma meilleure amie que j’aimais cette fille et que j’étais apparemment bisexuelle. Ça lui a aussi permis de m’annoncer son homosexualité (nous ne sommes pas amies pour rien). Seules elle et moi le savions pour mon orientation sexuelle. J’étais dans une phase où je me cherchais. Je me considérais donc comme bi. Je ne l’assumais pas du tout à cette époque. J’ai finalement voulu entrer en contact avec cette fille que je vais appeler Nina. Nous sommes devenues amies. Mais face à elle, je n’étais pas moi-même, très gênée. Elle était lesbienne. Elle ne savait en aucun cas que j’en pinçais pour elle. Nous sommes devenues très très proches puis elle a fini par me dire qu’elle voulait aller plus loin avec moi. Bien sûr que j’ai accepté… Un mois plus tard, elle m’a dit qu’elle ne voulait plus de moi. Je l’ai excessivement mal vécu. J’ai voulu plusieurs fois mettre fin à mes jours. D’autant plus que c’est grâce à cette fille que j’ai fait mon coming out à mes amis, qui l’ont bien pris. Mais aussi grâce à elle que j’affichais mon homosexualité au grand jour, en lui tenant la main dans la rue, etc. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun sentiment pour cette fille mais nous sommes de nouveau très proches, amicalement.

Même si je clame haut et fort mon homosexualité (pas du tout visible par rapport à mon physique, et à mon style vestimentaire…) dans la rue, au lycée avec ma copine, quelque chose manque.. Je n’arrive pas à le dire à ma mère. Une femme géniale qui dit qu’elle ne veut que le bonheur de ses enfants, qu’elle n’a rien contre l’homosexualité. Mais la question que je me pose serait : quand c’est son enfant qui est comme ça, est-ce pareil ? Puis je vis avec mon beau-père avec qui je ne m’entends absolument pas (nous nous détestons). Il clame souvent des propos homophobes et a même dit à propos de son fils : “Si mon fils est pédé, j’veux plus jamais le revoir.” Si je vivais seule avec ma mère, j’aurai moins de mal à le lui confier. (De plus, la famille de mon beau-père est croyante et homophobe en grande partie.) Mais voilà, j’ai tant bien que mal essayé, mais j’ai peur de sa réaction, d’être rejetée…

Une fois, ma copine et moi nous baladions en ville, main dans la main, elle est passée en voiture, s’est arrêtée et m’a appelée en hurlant. J’ai eu peur, très peur. En fait, elle voulait simplement savoir pourquoi je n’étais pas en classe (prof absent). Peut-être avait-elle fait semblant de ne pas voir ou elle n’ose peut-être pas m’en parler. Mais je pense qu’elle n’a rien vu. Ce jour-là, je fus soulagée de savoir qu’elle n’avait rien vu, un instant, mais ensuite, j’ai regretté : j’aurai voulu qu’elle le voie, qu’elle sache enfin qui je suis vraiment. De plus ma copine est un peu masculine un peu dans le genre de Shane, dans The L World. Ma mère doit le voir qu’elle est lesbienne. Je n’en sais rien. Je ne sais pas. Je voudrai lui avouer, mais comment ? Quelle serait sa réaction ? C’est la seule chose qui manque à mon bonheur, que ma mère sache que je suis lesbienne…

Parfois, j’ai des doutes sur le fait que ma mère sache ou pas. L’autre jour, je regardais un reportage (envoyé spécial) qui parlait des ados homosexuels, ma mère a vu ce que je regardais, et faisait exprès de m’embêter car j’étais absorbée par la télé. Puis je me suis aperçue, qu’elle regardait la même chose que moi dans le salon. Je suis un peu perdue : je ne sais pas ce qu’elle pense, ce qu’elle croit, je ne sais absolument rien. Ça devient lourd pour moi et ma copine de devoir se cacher : elle passe pour ma meilleure amie.

La chose qui m’énerve le plus c’est le fait de ne pas être complètement ouverte avec ma mère. Nous sommes très proches mais sur le point de l’amour, je me sens obligée de mentir, de me faire passer pour une hétéro célibataire endurcie. Pourtant, l’autre jour, mon parrain me parlait de garçons et a dit “Un jour t’en trouveras un, l’homme de ta vie.” Et là ma mère s’interpose : “Sauf si tu te trouves une femme“. Je l’ai regardée en souriant et n’ai rien dit.

En fait, dans ma vie, ce que je souhaite le plus c’est que l’homosexualité devienne une banalité. Ne plus entendre des “y’a des gouines, eh, regarde !“, “Quand elle aura goûté au mâle, elle arrêtera d’aller brouter sa copine“, etc., qui ne m’atteignent plus du tout mais qui pour d’autres filles sont blessantes et les empêchent de vivre sereinement.

Aussi une chose, une question que je me pose. Pourquoi devrait-il y avoir une normalité? Pourquoi y en a-t-il une ? Et pourquoi, les hétéros, eux, n’ont-ils rien à assumer, et nous, LGBT, nous devons assumer, sortir du placard, etc. ? Nous sommes dans un monde injuste, égoïste.

Témoignage reçu en décembre 2010

Le commentaire de C'est comme ça

En te lisant, nous nous sommes demandés si le problème pour toi n'était pas d'abord et avant tout l'impact de ce coming out non pas sur ta mère mais, par ricochet, sur ton beau-père. Avec ce que tu nous as écrit, il paraît assez vraisemblable que ta mère s'en doute déjà et que ses paroles de tolérance sont aussi des messages qu'elle t'envoie.
En revanche, sachant ce que tu dis de ton beau-père, ne serait-il pas judicieux que tu parles à ta mère à un moment où lui serait loin de vous ? Sachant ce que tu nous écris, ta mère pourrait trouver raisonnable aussi de maintenir cet aspect de ta vie privée hors des discussions de la nouvelle famille que vous formez, afin d'éviter des confrontations supplémentaires ? Demander ce genre de secret est toujours délicat, mais il est des situations (comme la tienne) où cela peut se défendre plus facilement.
Quand tu écris : "Même si je clame haut et fort mon homosexualité (pas du tout visible par rapport à mon physique, et à mon style vestimentaire...)", nous voyons ce que tu veux dire. Néanmoins, il nous semble important de te rappeler qu'une orientation sexuelle ne se lit pas sur le visage des gens, ni dans leur façon de s'habiller. Il n'y a pas de "physique de gay" ou de "physique de lesbienne", pour nous : il y a une diversité de styles, de comportements, d'attitudes, qui correspondent à de nombreuses façons de vivre sa propre sexualité. Et il faut faire attention avec ce genre d'idée reçue, car elle peut nourrir l'homophobie de certain-e-s.
Reste ta question finale sur l'injustice. Nous partageons ton sentiment. Depuis quarante ans, la situation des personnes LGBT n'a cessé de s'améliorer, mais il y a toujours cette norme qui paraît tellement évidente à nombre d'hétérosexuel-le-s. Elle oblige parfois à s'affirmer lesbienne, gay, bi, parce que, l'hétérosexualité étant une évidence, un coming out semble s'imposer dans telle ou telle situation - l'alternative étant de passer sous silence une part de soi, dans des moments où l'on ne le souhaiterait pas. Si toutes les orientations sexuelles étaient égales, et considérées comme également "normales", il n'y aurait plus de secret ou de placard, de la même façon qu'on n'a pas à dissimuler ou à se justifier d'être gaucher.
Si la situation continue d'évoluer dans le bon sens, cette injustice finira par devenir de plus en plus rare. Il restera toujours malheureusement quelques personnes "irrécupérablement" intolérantes, mais l'essentiel est de faire avancer les choses. A ta manière, tu y contribues déjà.

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.