Amour / Milieu scolaire / Questionnements

Ce vide dans mon cœur


Temps de lecture: 10 minutes

Bonjour,

Je m’appelle Stéphane*, j’ai 16 ans, je vis dans le Nord (59) et j’ai envie de partager mon histoire.
Le collège et ses années difficiles nous ont pour la plupart affectés – du moins, c’est mon impression. Quand on découvre l’ampleur du drame collectif au lycée, il y a de quoi avoir peur. C’est en grattant bien que l’on découvre une face cachée chez beaucoup de jeunes en apparence sans histoire : une face fragile, détruite par les attaques, par l’érosion d’un long drame… Combien de personnes ai-je vu au lycée m’avouer, sinon me confier, qu’ils ont été frappés, insultés, humiliés ? Voyez-vous, j’en fais partie.

J’ai passé sept longues années de ma vie, du CP à la 4ème en Bourgogne, lieu où je n’ai pas eu de vrai ami à qui parler de ce que je ressentais, ce qui permet à la vapeur d’une cocotte-minute de sortir. Je ne suis pas passé loin de l’explosion, j’ai même hésité à mettre fin à mes jours… Vous me direz que 50% des élèves harcelés ont pensé au suicide, comme moi, et 30% sont passés à l’acte… Quand on sait que 10% des élèves en France ont été ou sont harcelés, alors je suis une personne noyée dans une masse.

Le reflet grossièrement retouché que renvoient les autres –“Casse-toi ! T’es qu’une merde ! Tu pues ! Personne ne t’aime ! T’as de la brioche !”– vous censure l’âme et vous vous cachez derrière ce qui n’est ni vous, ni ce que les autres attendent de vous car ce qu’ils attendent de vous, c’est que vous soyez leur souffre-douleur.

Ma réaction n’a pas été la bonne. Chercher un refuge dans le travail – cet instrument de torture – n’est qu’une solution à court terme. Si je pouvais remonter le temps, la première chose que je ferais, cela serait d’en parler. En parler à n’importe qui : CPE, parents, professeurs… Je ne réalisais pas qu’une issue était envisageable. En troisième, en raison de mon comportement “anormal” (perte de confiance en soi, déprime, anxiété), j’ai dû avouer ce que j’avais subi, et le fait que l’on ait eu enfin de la peine pour mon sort m’a fait énormément de bien. Cela ne s’est pas du tout passé comme je l’aurais cru ! Si je l’avais dit avant, j’aurais évité très certainement plusieurs années de souffrance…

Quand j’ai déménagé, tout est allé mieux et j’ai pu enfin poser les valises que je portais depuis le CP. Je me sens beaucoup plus chez moi, ici. Un peu d’humanité brille dans les yeux des gens du Nord. Pourtant, rien n’effacera les mauvais quarts d’heure que j’ai connus : la mémoire retient. J’ai essayé d’oublier. J’ai essayé d’être comme les autres, alors j’ai essayé d’aimer une fille… Et juste au moment où j’allais lui dire que je l’aimais – comme une phrase obligatoire durant l’adolescence lorsque l’on veut être comme les autres – elle m’a dit qu’elle allait déménager… C’est triste, on s’entendait bien tout de même ! Mais elle ne m’attirait pas du tout, j’étais amoureux juste parce qu’une copine me l’avait “conseillé”.

J’ai passé un certificat de natation pour le brevet des collèges. Je devais le faire car j’étais arrivé récemment dans la ville. Il y avait avec moi un autre gars – mignon, je trouvais. J’ai vu son corps qui me laissait drôlement admiratif… Après l’épreuve, on a parlé tous les deux, il y avait un sentiment que je n’avais jamais ressenti jusque-là. C’est là que j’ai dû accepter le fait que j’étais bisexuel – mais encore hétéro officiellement : je devais me marier à une fille plus tard ! C’était bizarre pendant les grandes vacances de repenser à ce garçon et de vouloir se blottir dans ses bras. C’est très curieux.
Plus tard, en vacances, je regardais la télé pour m’occuper. “Tiens, un film avec des homos à Paris… Mais… En fait… Je ressens exactement la même chose !!!” La chose refoulée en bisexualité était en réalité homosexualité. C’est grave, ça ? C’est une maladie ? La peur rendait la réponse urgente, la honte rendait la chose secrète… Sur internet, vous trouvez tout et n’importe quoi. Il me fallait un site de référence, vous devinez sûrement lequel sinon je ne serais pas là… “Ah ! Mais en fait, c’est pas si rare que cela ! Et en plus, c’est même « normal » ? Incroyable !” Par définition, je devrais être bisexuel en raison d’une très légère attirance pour les femmes. Mais cette attirance n’est pas suffisante pour engager une relation. Je ne suis pas capable de ressentir la même chose qu’avec les hommes. Tout est plus fort… Alors je me définis en tant qu’homosexuel.

Les catégories, les étiquettes ne sont que les inventions des hommes. Elles sont pratiques pour désigner de façon superficielle une réalité très variable… Entre hétérosexuel, bisexuel et homosexuel, il y a des degrés insoupçonnés de nuances ! Alors je dis pour simplifier que je suis homosexuel, l’étiquette dans laquelle je me reconnais le plus…

A la rentrée, j’ai rencontré une fille qui est devenue ma confidente. Elle a très bien réagi lorsque je lui ai fait part de ce qui était une nécessité à exprimer, comme de la vapeur qu’il faut faire sortir d’une cocotte-minute… C’est là que vous vous rendez compte de qui est votre véritable amie. Elle est artiste, c’est peut-être pour cela, pour accepter mon originalité !
J’ai fait mon coming out à mes parents parce qu’ils croyaient que je voulais sortir avec une fille, ce qui avait eu le don de m’agacer, bien que je n’ai montré aucun signe d’énervement. Alors je leur ai dit car ils sont tolérants. Ils n’ont rien dit, ils étaient surpris. Mais ma mère m’en a reparlé et je l’aime beaucoup parce qu’elle m’accepte et qu’elle sera toujours là si j’ai besoin.

Entre-temps, j’ai rencontré un autre mec qui m’a fait complètement craquer… C’est comme une drogue avec flash-back : lorsque je n’étais plus avec lui, je repensais à lui en permanence. La torture la plus douce est sans doute l’amour… J’ai voulu rencontrer des gens comme moi dans l’espoir de concrétiser mes désirs. Ma confidente m’a alors conseillé un forum Disney – créativité oblige – où il y a plein d’homosexuels. Insolite ! Mais c’est grâce à ce site que j’ai fait ma première rencontre charmante. Il s’appelle Gauthier, il vit à Versailles, il a 17 ans, il est bisexuel. Il a des yeux magnifiques, une apparence ravageuse. Bref, il m’en a mis plein les yeux ! J’avais pourtant douté de sa véritable identité – vous savez, sur internet… Mais je l’ai rencontré le temps d’une journée à Disneyland. Une des plus belles journées de ma vie ! J’ai eu beaucoup de sensations fortes et comme Gauthier voyait que j’étais un peu déboussolé, il a mis son bras sous le mien durant la matinée. Nos mains étaient entrelacées à midi… Et après, ma tête était sur son épaule au cinéma, l’après-midi… J’ai hésité à l’embrasser… Mon cœur n’a jamais eu autant de sensations. Mais ses copains sont arrivés, alors discrètement il prenait ma main derrière nous, à l’abri des regards. Mais après ? Je n’ai jamais pu donner suite à ce moment si fort. Il m’a oublié. Oui, je peux tout à fait concevoir que l’on a pas le temps de s’occuper de cela lorsque l’on passe son bac, mais on peut tout de même envoyer juste un petit message tous les deux jours ou trois jours même, j’avais besoin de sa présence – un peu irréelle pourtant. Je me suis trop emballé, ça a dû lui faire peur… Peut-être qu’il me cache une petite copine… Et s’il avait trop peur de s’assumer ? Qu’est-ce que je peux faire pour y remédier ? J’ai laissé comme ça cette relation inachevée depuis un an maintenant. Ça me fait encore mal mais c’est comme ça, c’est la vie…

Après j’ai fait une colo, un deuxième moment fort dans ma vie. Une colo d’écrivains pour être plus précis… Là, les gens s’aiment comme ils sont et on peut s’affirmer. J’étais très timide au début, et j’avais peur de recevoir de l’homophobie – surtout lorsque l’on dort dans la même chambre que d’autres garçons ! Il y a eu une soirée où on a fait un jeu de rôle. L’animatrice et moi, nous avons marié nos personnages masculins. On a passé un excellent moment ! Puis, je suis monté dans ma chambre et alors que je descendais le store, elle est venue me parler.
-Dis Stéphane ?
-Oui ?
-Tu aimes plutôt… les filles ou les garçons ?

(Je n’en reviens pas…)
– Ben les garçons pourquoi ? 
Elle m’a expliqué qu’elle aussi était homosexuelle, qu’elle a eu un coming out difficile dans un milieu catholique. Je lui ai un peu raconté ma vie aussi… Ça m’a fait énormément de bien ! Et elle m’a aussi dit qu’un autre animateur était gay. Je lui ai demandé comment elle s’était doutée que je l’étais. Elle m’a répondu que c’était parce que je n’aimais pas les blagues homophobes et que je réagissais, ce qui la laissait admirative. J’ai aussi parlé avec l’autre animateur à ce sujet, et ils m’ont dit qu’ils étaient là pour me soutenir. C’est ainsi que j’ai fait mon coming out et que j’ai été également le confident d’une fille qui avait un peu de mal à trouver son orientation sexuelle… Cette colo a été une expérience incommensurable !

Je tombe aussi amoureux de personnes plus âgées que moi, qui ont parfois la trentaine, et je sais que cela n’est pas évident… Lorsque je lui ai dit cela, une amie m’a dit “QUOI ?”. Elle l’a accepté mais était un peu choquée… Moi je n’y peux rien si j’ai tendance à aimer tel type de personne au lieu d’un autre type… A mon âge, c’est dur de rencontrer d’autres homos, on ne peut pas faire ce que l’on veut ! On ne peut pas dire à papa et à maman que l’on va rencontrer en vrai quelqu’un que l’on a vu sur un site de rencontre… Je ne peux pas aller voir des associations non plus ! Il faudrait déjà trouver un solide alibi et avoir la chance d’en avoir une à côté de chez soi…  Et le pire, c’est que la mentalité n’est pas toujours au top. J’ai déjà été sur za-gay, notamment pour les rencontres. Les gens ne sont pas toujours sympathiques, ils peuvent simplement répondre à votre message par un “non”. Bref, je me sens coincé… Il faut être patient.

Alors je travaille encore et encore, j’en deviens presque malade pour oublier ce vide dans mon cœur… Et j’écris pendant les vacances comme maintenant pour me lamenter lamentablement sur mon sort. Lorsque je ne travaille plus, je déprime… Incroyable, non ? Mais je sais que des homos, il y en a partout. Peu importe votre milieu social, votre pays, et même votre établissement scolaire… Ils se cachent, c’est tout. La preuve : j’ai rencontré récemment une lesbienne au lycée !

Témoignage reçu en février 2016

Mise à jour de mai 2016

Peu de temps après avoir rédigé mon témoignage, la vie a fait que je suis tombé sur la bonne personne. On était en voyage scolaire, et on devait visiter une ville. C’est alors que j’ai reparlé avec une vague connaissance du lycée (je ne lui avais parlé que deux ou trois fois dans la cour de récréation). Avec lui, j’ai rigolé, j’ai parlé, et je me suis attaché à lui. On déambulait à travers les rues, le sourire aux lèvres. Et puis, une fois la nuit tombée, on discutait dans un coin du jardin de l’auberge de jeunesse pour être tranquille. A force de parler, le deuxième soir, je me rendis compte qu’il parlait étonnement bien des personnes LGBT… Je lui ai donc révélé mon orientation amoureuse, et il m’a parlé de sa bisexualité. Cela nous a encore rapproché, car je ne connaissais aucune personne “comme moi” qui soit un garçon dans mon lycée (et ce, même si je connais une fille lesbienne qui s’assume depuis récemment dans ma classe). Il m’a raconté avoir eu des aventures au sein de son internat. Il m’a expliqué que je ne serai sûrement pas compatible avec lui parce qu’il ne souhaite pas s’engager. En partant, dans le bus, on était assis ensemble. Il faisait “froid”, alors il a mis son manteau sur nous. A la fin, parce qu’il faisait “froid”, nous étions bras-dessus bras-dessous sans que personne ne puisse s’en rendre compte. Non, ce n’était plus possible de ne pas le revoir… Alors on a fait un rencard. Puis un deuxième. Nous étions dans un parc désert, allongés sur l’herbe, pile poil le jour du printemps. Et on a parlé, rigolé, on s’est fait des câlins, et puis on s’est embrassé.Cela fait un mois et demi que nous sommes en couple, et on me dit que depuis ce temps, je suis moins anxieux et stressé, beaucoup plus heureux et confiant ! On aurait beaucoup de mal à nous séparer. J’aime ce garçon avec lequel j’ai envie de vivre des évènements !Plusieurs personnes le savent au lycée, mais j’essaie d’être discret parce j’aime savoir qui connaît quoi. Il y en a certains qui le devinent, d’autres qui me donnent la sincère impression qu’ils l’ont deviné. Mais au fond, qu’est-ce que ça change?

* les prénoms ont été modifiés.

Le commentaire de C'est comme ça

Stéphane nous décrit le harcèlement scolaire qu'il a subi de la primaire à la fin du collège. Lorsqu'il parle du malaise qu'il a ressenti, de sa tristesse et de son isolement, il dit aujourd'hui : "si je pouvais remonter le temps, la première chose que je ferais, cela serait d'en parler. [...] Si je l'avais dit avant, j'aurais évité très certainement plusieurs années de souffrance...". Nous tenions donc si vous en êtes victimes également, à vous aider à en trouver les moyens d'en parler pour obtenir le même soulagement que Stéphane : "Je ne réalisais pas qu'une issue était envisageable [...] le fait que l'on ait eu enfin de la peine pour mon sort m'a fait énormément de bien". 
A qui parler ? De nombreuses pistes sont envisageables. D'abord parmi vos proches, vos parents, frères et sœurs, ou membres de la famille plus éloignés, qui pourront vous soutenir. Toutefois, lorsque le harcèlement porte sur l'homosexualité, il n'est pas toujours évident d'en parler si on n'est pas encore prêt-e à faire son coming out. Dans ce cas, il est possible de se tourner vers des personnes extérieures à la famille, notamment des professionnels au sein de l'établissement avec qui vous vous sentez en confiance : CPE, surveillant ou infirmière scolaire, par exemple. Vous pouvez aussi contacter le 3020,numéro Non au harcèlement à l'école (appel gratuit) où vous pourrez obtenir de l'écoute et de l'aide, notamment si l'équipe scolaire ne réagit pas. Autre piste : vous pouvez trouver sur le site Carto Santé Jeunes des lieux d'accueil et d'écoute, gratuits et confidentiels, dans chaque département. Courage, vous n'êtes pas seuls !

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.