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Comment on en est arrivé là


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Bonjour, j’ai 15 ans et je m’appelle Line*. Je vais rentrer au lycée et j’habite en France. J’aimerais vous faire part de mon orientation sur laquelle je pense ne pas me tromper mais que j’ai parfois du mal à assumer. Pas trop au niveau des ami-e-s mais plus de ma famille. Je pense être… lesbienne (j’ai souvent du mal à me dire et à dire ce mot car il sonne assez fort dans ma tête) parce que quand je vois des garçons, je ne ressens rien. Par contre je regarde plus attentivement les filles, dans le sens où je pense les regarder comme une fille hétérosexuelle se dirait « quel beau gosse celui-là ! ».

En fait mon indifférence au genre masculin remonte au collège, les pires années de ma vie qui débute à peine. J’avais eu pas mal de problèmes au niveau des moqueries en primaire car je suis d’origine chinoise et j’ai été adoptée. Ça m’a valu 2 ans de harcèlement physique (coups et blessures) et 5 ans de railleries venant de gamins idiots. Je pensais qu’au collège, ça s’atténuerait. J’avais presque raison. Mais au collège, c’est la période des critiques à propos du physique, et comme je n’étais absolument pas soucieuse de la mode féminine (je m’habillais comme bon me semblait), les garçons ne s’intéressaient pas à moi et certaines filles me montraient du doigt quand j’approchais. Comme je connaissais déjà les moqueries dues à mes origines, ces commentaires peu valorisants ne me touchaient pas trop, bien que j’aurais voulu ne pas être la seule asiatique du collège…

En 5ème j’ai été rejetée et méprisée par mes « amies » au point de vouloir me supprimer. Ça s’est amélioré grâce au soutien de mes parents et de ma famille en général. En 4ème j’ai rencontré un garçon qui était génial. On parlait beaucoup et on rigolait bien de tout et de rien. Il n’était pas très apprécié des autres garçons parce qu’il ne portait pas de marques, qu’il n’était pas assez masculin, etc. En fait on lui reprochait les mêmes choses qu’à moi ! Très vite les gens ont dit que nous allions sortir ensemble, ce qui s’est passé. Mais ça n’a pas duré. En fait je pensais l’aimer, mais quand il me serrait contre lui, m’embrassait, me disait qu’il m’aimait, ça ne me rendait pas joyeuse. Ça me laissait de marbre. Je me posais évidemment des questions. Pourquoi je ne réagissais pas vraiment ? Pourquoi j’aurais voulu que ce soit une autre personne qui m’embrasse et me dise ça… Alors que je me posais ces questions, j’ai pensé à une fille que je connaissais depuis l’enfance que je voyais lors d’une activité extrascolaire. Nous nous étions perdues de vue durant deux ans entre le CM2 et la 6ème. En la retrouvant, j’ai trouvé qu’elle avait changé : elle était plus mature, grande, belle, souriante. On ne s’était jamais vraiment parlé à part « bonjour, ça va ? Oui et toi ? » mais j’étais heureuse de la revoir. Quand elle avait l’air triste, ça me peinait, quand elle souriait, ça me rendait joyeuse, si elle était proche de moi, j’étais stressée comme je ne sais quoi. Un jour elle a eu un fou rire et c’était la première fois que ça lui arrivait devant moi, j’étais aux anges.

Donc pour en revenir à cette année de 4ème, pendant cette période assez trouble, mon petit ami n’a fait qu’accélérer ce processus de questions. Au début, il me semblait impensable que je puisse aimer quelqu’un du même sexe que moi. Mais le fait est que mon copain commençait à agir en véritable homme jaloux. Il ne voulait plus que les garçons m’approchent (en sachant que mon entourage de garçons se limitait à 5 ou 6 sur un collège de plus de 400 élèves et que j’avais du mal à parler avec un garçon…). Le pire était qu’il ne voulait plus que les filles m’approchent non plus (mes amies ou du moins celles qui ne m’avaient pas ou pas encore rejetée, que je comptais sur les doigts de mes mains…) et là, il dépassait les bornes. Je lui ai dit que s’il continuait, je le quitterais. Il a tenté de me blesser en utilisant le mot « lesbienne » comme une insulte, sans savoir que je me posais des questions à ce sujet. S’il avait su quel impact ce mot allait avoir sur moi, il aurait peut-être modéré ses paroles, qui ont accéléré ma révélation. Pour le coup, je l’ai quitté.

En le quittant, je me suis mise à rêver de la fille qui m’attirait. Les rêves la concernant étaient flous, vagues, imprécis, mais je pouvais reconnaître sa voix, son parfum, et ses yeux bleus avec sa chevelure d’or. Malheureusement, quand j’ai voulu lui parler et mieux la connaître, elle avait dû arrêter l’activité que nous faisions à causes de ses concours et du lycée où elle avait trop de travail.

J’ai parlé à mon père de mes doutes sur mon orientation sexuelle en fin de 4ème, une semaine avant les vacances d’été. Lui qui était si fier de se trouver « compréhensif » avec moi… quelle bonne blague. Il m’a dit « Ça peut changer, tu es jeune, tu as le temps, et puis tu sais il est possible que tu confondes amitié et amour ». Ça m’a fait mal. Très mal. Je m’étais torturée à me poser des questions pendant cette année sans oser en parler à qui que ce soit pour entendre ça venant d’un de ceux que je pensais me soutenir à fond. Je pense qu’il en a parlé à ma mère, mais sans plus.

En 3ème, j’ai fait des crises, des crises où je me mettais à pleurer de frustration mais sans savoir pourquoi. Je pense qu’elles étaient dues au manque de soutien de mes parents. Le fait qu’une fille qui se disait mon amie me poignarde sans cesse dans le dos aggrava la situation et on a fini par m’envoyer voir une psychologue. Je lui ai seulement parlé de mes problèmes d’amitié, gardant toutes mes questions d’orientation sexuelle pour moi. La psychologue m’a assez bien aidée et j’ai repris le pas sur ma vie, sans oublier pour autant mes questions.

Je traînais avec plusieurs groupes à la fin de l’année, constitués uniquement de filles. Je n’éprouvais pas grand chose à leur égard à part de l’attachement. Pourtant quand je voyais des filles en dehors du collège et des alentours du village où j’habitais, certaines me plaisaient, d’autres non. Je ne m’intéressais plus aux garçons. Je parlais librement de mon orientation sexuelle à mes amies de confiance mais je n’osais en parler à mes parents ou à ma famille. Mes grands-parents sont un peu vieux jeu, et très très influencés par ce que racontent les journaux (sans prendre le temps de se faire leur propre opinion). Ils sont quelque peu homophobes, pour ne pas dire beaucoup. Ma tante et mon oncle comprendraient peut-être mais je n’ose pas. Quant à mes cousins, je pense que ça ne gênerait absolument pas l’aîné, peut-être le plus jeune (ils ont 25 et 21 ans et ont tous deux une petite amie).

Comme je n’ose pas parler du sujet à mes parents directement, j’utilise des dérivés, comme la fois où j’ai essayé de parler de l’homophobie chez les gens. Ça a été un fiasco total. Mon père avait oublié que j’aimais les filles et en parlait comme il en a l’habitude, en jouant les savants. Ma mère, elle, ça n’a pas été le même discours puisqu’elle n’a pas parlé. Elle a juste écouté mon père. A mon avis, elle se doute encore un peu que j’aime les filles mais préfère se dire que je ne suis pas encore décidée, que c’est une mauvaise passe.

Comme ce sujet n’aboutissait pas, j’ai tenté avec ce genre d’approche : « Quand je sortirai avec quelqu’un, est-ce que l’on pourra l’emmener avec nous en vacances ? ». Mes parents répondaient oui, que si c’était quelqu’un de bien, ils voudraient bien. Mais là, il y a peut-être quiproquo. Pensaient-ils à un homme, à quelqu’un de bien de leur point de vue à eux ? Est-ce qu’ils ne sous-entendaient rien ? Alors j’ai demandé : « Quand je ramènerai la personne avec laquelle je sortirai, vous approuverez mon choix ? Quel qu’il soit ? ». Ils m’ont dit oui du moment que j’étais heureuse.
J’ai récemment demandé à me faire percer une oreille. Je voulais avoir trois boucles d’oreilles sur une seule oreille, ma mère a dit juste une, j’ai cédé. Mais après elle m’a demandé : « pourquoi sur une seule oreille ? » et je lui ai juste dit que ça me plaisait. Elle m’a alors dit qu’il pouvait y avoir une signification, que pour les personnes ayant une oreille percée avec un piercing, notamment les garçons, c’était un signe qu’ils étaient gays. J’avais envie de lui dire que ça ne me gênait pas puisque je me considérais aussi homosexuelle, mais je n’en ai pas eu le courage ni le temps… car elle a embrayé sur le fait qu’elle voulait pas qu’on me classe dans une catégorie de gens que je n’étais pas, qu’il fallait tout de même que je fasse attention à mon style pour ne pas qu’on se moque de moi, etc. Ça m’a brisé le cœur de l’entendre dire ça. Je me suis rendue compte que depuis le début, mes parents n’étaient pas aussi ouverts qu’ils le prétendaient et qu’ils essayaient de me réorienter… J’ai ressenti beaucoup de tristesse en comprenant tout ça.

Maintenant, je ne dis plus rien à mes parents et me confie à mes amies en attendant de trouver une personne que j’aimerai et qui m’aimera pour m’assumer entièrement et montrer à mes parents que je sais qui je suis et que je l’affirme. J’espère la trouver au lycée assez vite d’ailleurs…

* le prénom a été modifié

Témoignage reçu en septembre 2017


Mise à jour d’octobre 2017

Lorsque j’ai écrit à C’est comme ça, deux questions me préoccupaient : étais-je bien lesbienne, et si oui, comment faire mon coming out à ma famille ? J’ai pu discuter avec quelqu’un de l’équipe du site et avancer dans mes réflexions. On a notamment parlé de mes motivations à faire un coming out et aussi de la manière dont je voulais m’y prendre.

En cherchant activement plus d’informations sur les manifestations de lutte contre l’homophobie, je suis tombée sur la journée mondiale dédiée à ce sujet précis, qui est le 17 mai. Et là où cette nouvelle m’a fouettée en pleine figure, c’est que je suis née ce jour-là ! Je me dis donc que je pourrais parler à ma famille entière d’ici quelques temps, en profitant que tout le monde soit réuni pour mon anniversaire, par exemple celui de mes 18 ans. Le faire à mon anniversaire me semble une assez bonne idée, afin de demander le respect de mon orientation, et encore mieux, l’accepter et m’accepter. Pourquoi je tiens tant à le faire et même devant la famille élargie ? D’abord je veux qu’ils l’apprennent de vive voix. Je me suis trop souvent soustraite à la prise de parole avant. Je veux qu’ils puissent parler et discuter avec moi sur le vif même si c’est une prise de risque considérable à mes yeux car le sujet sera traité à blanc mais je veux les rassurer et leur parler directement. Et puis le bouche à oreille au sein de ma famille est légendaire… et très nuisible. Si je ne le disais qu’à quelques personnes, le reste de ma famille non-avertie serait assez vite mis au courant… Le dire moi-même évitera à mes parents de devenir les cibles des questions ou des regards. Je souhaite aussi leur parler pour ne plus avoir à supporter les allusions assez lourdes : « Alors côtés mecs ça avance ? Toujours pas de petit ami ? Ah ! Si tu voyais tes cousines éloignées ! T’es un peu à la traîne tu sais ? Bah tu me diras que t’as le temps et c’est vrai ». Je vais donc continuer à bien m’informer afin de parer la plupart des questions qui pourraient m’être posées.

Peut-être que je pourrai leur montrer mon témoignage sur C’est comme ça comme une « pièce à conviction » pour leur prouver que non, qu’il ne s’agit pas de suivre « une tendance », que ce n’est pas « juste une phase de l’adolescence » où je serais littéralement perdue, que je ne confonds pas « l’amour et l’amitié avec des filles » et que je ne suis pas « dans le fond une hétéro à cent pour cent ».

Côté parents, j’avais envisagé de leur écrire, ou de provoquer une découverte « accidentelle ». Finalement, j’ai réussi à leur parler directement sans passer par des sous-entendus en discutant d’une présentation que je devais faire au lycée sur une discrimination de mon choix : l’homophobie. Contrairement à toutes les craintes que j’avais, mon père l’a bien pris et m’a dit qu’ils avaient déjà compris, que le silence de ma mère était dû au fait qu’elle avait peur de me blesser par une parole maladroite et qu’elle préférait donc le silence. Je suis donc rassurée et pourrai enfin parler librement à mes parents de ce que je suis et de mes centres d’intérêt. C’est encore nouveau de pouvoir en parler franchement, on commence en douceur mais il y a du progrès chaque fois que l’un fait un pas vers l’autre.

Au lycée, je me suis faite percer à jour très très très rapidement dans ma classe sur mon orientation. Les quelques garçons de ma classe ne me faisant aucun effet, les filles m’ont vite découverte telle que je suis et je n’ai même pas cherché à nier. Il vaut mieux qu’elles sachent et apprennent à me connaître comme je suis, plutôt que l’on devienne amies et que j’ai la peur au ventre de me faire rejeter après ! Heureusement elles l’ont bien pris, parlent librement et veulent même m’aider à m’affirmer (elles sont très gentilles). J’ai aussi eu droit à de très belles surprises : je viens d’apprendre que mes nouvelles camarades les plus proches sont toutes deux homosexuelles. L’une a beaucoup en commun avec moi. La seconde est plus indécise et un peu perdue d’ailleurs, alors nous essayons de l’aider à voir plus clair dans ses sentiments. De plus nous avons découvert un couple de lesbiennes par hasard dans un couloir (nous étions heureuses en les voyant) et d’autres personnes dans notre lycée sont homosexuelles aussi !

Enfin, j’ai tenté de déclarer ma flamme à la fille dont je vous avais parlé et j’attends toujours sa réponse (qui ne viendra certainement jamais par ailleurs).

Merci encore de m’avoir aidée car je n’aurais certainement pas fait tout ça si je n’avais pas reçu des réponses comme vous le faites !

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.