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Apprendre à se sentir bi-en


Temps de lecture: 7 minutes

Je m’appelle Antoine*, j’ai 17 ans et je suis bisexuel. Je ne sais pas depuis quand je le suis, mais il y a environ un an et demi que j’ai commencé à accepter qui je suis. Petit j’ai vite compris ce qu’était l’homosexualité, je n’ai connu que plus tard la bisexualité, et cela me paraissait très loin de moi. Lors d’un voyage au ski avec le collège lorsque j’avais 12 ans un garçon qui avait une copine disait qu’il était bisexuel, un peu en rigolant, et je n’ai pas su identifier s’il était sérieux ou non. Il m’a ensuite fait des avances, toujours en rigolant légèrement, et là non plus je n’ai pas su s’il était sérieux. J’ai beaucoup réfléchi là-dessus, à l’époque je me suis dit que j’aimais les filles, et j’ai pensé que si je sortais avec un garçon les autres personnes pourraient se moquer de moi ou m’insulter, et je pensais avoir trouvé-là la conclusion sur moi-même. Pendant trois ans j’ai eu quelques relations avec différentes filles, je ne m’imaginais pas sortir avec un garçon, puisqu’un garçon c’est comme moi. Je suis le genre de gars à m’attacher rapidement aux personnes, et jusque là je ne m’étais attaché qu’à des filles.

Lors de mon année en seconde je me souviens avoir parlé avec une fille et lui avoir dit que je trouvais beau un chanteur, sachant que j’avais voulu sortir avec une de ses amies elle m’a demandé si j’étais bisexuel, je ne m’attendais pas à cette question et j’ai tout de suite répondu que non, que ce n’est pas parce que je trouvais un homme beau que j’étais bisexuel, je ne voulais pas que quelqu’un pense cela de moi, et je ne pensais pas cela de moi non plus. Ma vie se déroulait plutôt bien et sans encombre, j’avais un bon groupe d’amis et je n’imaginais pas une seconde ce qu’il allait m’arriver : je suis tombé amoureux d’un de mes amis. Je l’ai rencontré à 15 ans au lycée et nous sommes rapidement devenus amis, puis je l’ai considéré comme mon meilleur ami du lycée, l’amitié s’est déclinée en admiration, je voulais lui ressembler, du moins c’est ce que je croyais pendant un moment, mais j’ai ensuite réalisé que je l’aimais. J’ai gardé ça pour moi et j’ai tout fait pour ne pas le lui montrer ni que quiconque puisse remarquer ce que je ressentais pour lui. J’ai réussi mon coup, personne n’a rien remarqué et aujourd’hui encore personne n’est au courant de cela. C’est à partir de ce moment-là que les questions se sont enchaînées, je ne savais plus qui j’étais ni qui je voulais être, j’ai essayé de renier mes sentiments pour lui mais je n’ai pas réussi, j’ai passé des semaines très désagréables, je le voyais tous les jours, je lui parlais mais je ne pouvais pas lui avouer mes sentiments, et je n’avais personne pour en parler, je ne voulais pas que quelqu’un sache cela, je pensais que tout allait redevenir normal et que j’allais me trouver une copine. Je me suis détesté et dégoûté d’être comme cela, je n’étais plus heureux, je ne savais pas ce que je devais faire, et j’ai essayé en vain de me persuader que j’aimais les filles et uniquement les filles. Cette période a duré environ six mois. Ensuite, je ne sais pas quel a été le déclic mais j’ai commencé à m’accepter, je me doutais que je n’étais pas le seul dans ce cas là, et je me suis dit que j’étais bisexuel et que c’était comme ça, je ne pouvais rien y faire. J’avais à peine 16 ans à ce moment-là.

Je ne me détestais plus mais il n’était pas question d’en parler à quelqu’un, j’ai continué à garder cela pour moi, personne ne pouvait s’en douter. J’avais commencé à m’accepter mais j’espérais quand même ne plus être attiré par aucun autre garçon. Mais ce fut le contraire de mes espérances qui arriva. Lors d’une soirée où je ne connaissais qu’une personne, une amie m’ayant demandé de l’accompagner, il y avait un jeune homme que je trouvais très beau et il m’a également remarqué, nous avons parlé, bu un peu et j’étais à l’aise, je me sentais bien comme j’étais à ce moment-là. J’ai passé la nuit avec ce garçon. Les jours qui ont suivi, je me suis senti mal, je ne pouvais pas croire que cela s’était réellement passé mais les faits sont les faits, à partir de ce moment-là je n’avais plus aucun doute concernant mon orientation sexuelle.

Personne à part ce garçon n’était au courant de mon secret, et n’ayant pas gardé contact avec lui j’étais seul face à moi-même. Je m’étais accepté mais c’était difficile de vivre avec ça, il fallait que je me confie à quelqu’un. Cela fait sept mois que j’ai commencé à en parler, tout d’abord à une amie elle-même lesbienne qui a su me comprendre, me rassurer, et j’en ai également parlé à la sœur de mon meilleur ami. Elle m’a été d’une grande aide et grâce à ces deux filles je me suis senti mieux au niveau de mon orientation sexuelle. Peu à peu j’ai essayé d’en parler avec d’autres amies, et leur réaction a été qu’elles ne m’ont pas cru et pensaient que c’était une blague. Rien de mon look, de mon comportement ou de ma personnalité n’a fait penser que je pouvais être bisexuel, j’ai été déçu par ces filles, je leur confiais quelque chose de très important pour moi et elles ne m’ont pas cru. Il a fallu quelques semaines à l’une d’elles pour me croire.

Dans l’ensemble ces révélations à mes quelques amies ont été bénéfiques pour moi, mais mon orientation sexuelle n’était pas le seul problème dans ma vie : il y a encore quelques mois je ne me sentais pas heureux, je ne souriais pas beaucoup, puis j’ai fait la rencontre d’une fille que j’appellerai Kate. Je pense être tombé amoureux d’elle mais elle avait déjà un copain et j’ai donc essayé de réprimer mes sentiments pour elle, ce que j’ai réussi à faire. Elle a été pour moi une amie comme je n’en avais jamais eu, j’ai pu revivre grâce à elle, mes problèmes se sont amoindris et je me suis complètement senti bien dans ma peau, avec une orientation sexuelle qui me correspondait. J’ai mis un peu de temps à parler de ça à Kate, et elle a tout de suite compris et ça n’a pas été un problème que je lui aie caché ma bisexualité pendant plusieurs mois alors que je pouvais parler de tout avec elle.

Depuis environ 3 mois je me sens réellement bien mais il reste un problème de taille : ma famille. Aucun membre de ma famille ne se doute de cela et personne n’est au courant, je n’ai pas encore le courage et la force de le leur dire, j’ai peur de leurs réactions et du regard nouveau qu’ils me porteront, je préfère donc attendre pour le moment où je serai vraiment prêt de sauter le pas, je ne veux pas me précipiter et regretter par la suite. Côté cœur, je suis célibataire et il y a quelques jours j’ai vu une photo de Kate avec son meilleur ami et sa meilleure amie, et j’ai ressenti une chose que je n’avais jamais ressenti, j’ai trouvé son meilleur ami vraiment magnifique, j’avais déjà trouvé des hommes beaux mais jamais à ce point. Malheureusement pour moi, il aime les filles, mais cela n’est pas grave, dorénavant je prend la vie du bon côté et j’œuvre pour mon bonheur et pour celui de mes amis.

J’ai maintenant 18 ans et depuis la partie précédente de mon témoignage, il s’est passé d’autres choses que j’aimerais ajouter à celui-ci. J’ai réussi à annoncer ma bisexualité à d’autres amies et également à des amis. Avant, je n’osais pas l’annoncer à des garçons, de peur qu’ils s’imaginent que je leur disais cela car j’étais attiré par eux. Je l’ai ainsi dit à mon meilleur ami, qui est pourtant un peu homophobe et il a été admiratif de mon courage, je ne sais pas si cela a changé sa perception à l’égard des personnes non hétéro mais cela n’a rien changé entre lui et moi. Il est donc possible qu’une personne de votre entourage étant homophobe ou le laissant paraître puisse bien réagir à votre annonce. J’ai récemment parlé à un garçon de mon université qui est gay et il m’a dit une phrase qui m’a blessé : “La bisexualité n’existe pas“. Pour ma part si l’on me dit “la bisexualité n’existe pas”, cela revient au-même que de me dire “tu n’existes pas”, ça m’a fait vraiment mal. J’ai donc arrêté de lui parler car il n’a pas voulu entendre mes explications là-dessus.

Merci d’avoir lu mon témoignage et j’espère que grâce à lui les personnes qui sont dans le même cas pourront comprendre que c’est important d’avoir quelqu’un à qui en parler et que ce n’est pas un problème de ne pas être hétéro, l’important est que l’on puisse s’accepter comme on est afin d’être heureux. J’espère également pour toutes les personnes qui liront ceci, et qui ont en ce moment même des doutes par rapport à eux-mêmes, ou des problèmes liés à leur orientation sexuelle, que leur parcours prendra une bonne tournure, qu’ils parviendront à vivre leur vie comme ils le souhaitent et qu’ils seront heureux d’être comme ils sont.

* le prénom a été modifié

Témoignage initial reçu en septembre 2014 

Le commentaire de C'est comme ça

Le témoignage d'Antoine exprime plusieurs choses. Nous voulons en retenir une : dans son expérience, l'attirance pour les filles est venue en premier. C'est plus tard qu'il a remarqué qu'il était aussi attiré par certains garçons. Même si cette découverte a été douloureuse au début et l'apprentissage de soi semé d'embûches, il n'a jamais douté qu'il aimait les filles. Dès lors, il a été particulièrement douloureux pour lui que des personnes nient sa bisexualité, mettant en doute l'une ou l'autre part de ses attirances. En ce sens, on peut dire qu'il a vécu deux aspects de la biphobie. Trop de personnes ne peuvent comprendre que le monde n'est pas divisé de façon binaire entre homos et hétéros, et les bisexuel-le-s ont l'inconvénient de résister tout particulièrement aux stéréotypes, même s'il en existe des spécifiques à leur encontre.  De ce point de vue, certains gays et certaines lesbiennes se distinguent par une attitude très négative. Sous prétexte qu'ils ont bataillé pour s'accepter, il leur est difficile de concevoir que l'on puisse aimer des garçonset des filles, des filles et des garçons. C'est comme une traitrise à la "cause", ou alors un état immature, quand on ne se serait pas encore "assumé" complètement. Une telle appréhension manifeste une ignorance qui est l'équivalent de celle que manifestent des parents qui disent à leur enfant "c'est juste une phase" (d'aimer des personnes du même sexe). C'est aussi une attitude discriminatoire. Antoine l'a reçue en pleine figure et il a eu bien raison de ne pas l'accepter. La biphobie est aussi vulgaire et choquante que le racisme, l'homophobie ou le rejet des personnes en surpoids.
Quelques mots pour concevoir différemment les choses avant de terminer ce commentaire. Pour l'équipe de C'est comme ça, la bisexualité est plus et davantage qu'un "juste milieu" entre les hétéros et les homos. Nous pensons que les êtres humains sont tous, à des degrés divers et pouvant varier dans la vie, attirés par des personnes des deux sexes, voire par des personnes sans genre défini ou qu'elles ressentent différent de leur sexe biologique. Sous la pression de nos pairs ou de notre entourage, quand cela ne vient pas de nous-mêmes, nous sommes souvent amenés très tôt à renoncer à éprouver des sentiments pour des personnes qui ne correspondent pas à notre orientation sexuelle prédominante (quand on en a une). C'est précisément ce renoncement que les personnes bisexuelles ou pansexuelles refusent, car elles ne le peuvent ou ne le veulent pas. D'ailleurs, il n'y a pas que le sexe ou le genre d'une personne qui intervient dans les élans que l'on ressent à son endroit, il y a aussi le caractère, les attitudes, les goûts, et une infinité d'autres choses, qui varient selon les gens. Cela peut être plus important que le sexe pour aimer quelqu'un-e. La bisexualité n'est dès lors pas une chose simple, figée, et qui se manifeste de la même façon chez tout le monde. Il y a différentes sortes de bisexuel-le-s, ce qui les conduit parfois à rejeter cette étiquette-là aussi. Quoi qu'on en pense, la seule chose essentielle à nos yeux est de respecter ce qu'une personne dit d'elle-même en la matière.

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.