Coming out / Famille / Questionnements

Une révélation progressive


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Bonjour,

Je m’appelle Florent, j’ai 21 ans et je suis bisexuel. Je tiens à témoigner même si je ne sais pas trop quoi raconter, si ce n’est qu’assumer ma bisexualité fut un parcours du combattant assez douloureux et qui n’est toujours pas fini. Aujourd’hui, si on me demandait à quel moment j’ai compris être bi, je dirais que je le sais depuis que je suis gamin. Tout petit, vers l’âge de 7-8 ans, je me sentais des attirances pour les garçons autant que pour les filles. De là à dire que je comprenais, que j’avais conscience de ce que ça voulait dire, il y a tout un monde. Mais le fait est que, quand je repense à mon enfance, je ne peux m’empêcher de me dire que c’était déjà là. Puis j’ai grandi, j’ai mûri, et j’ai été confronté à des douleurs que je ne souhaiterais à personne. J’avais 13 ans et j’allais sur mes 14 ans quand j’ai perdu la personne qui a, sans doute, le plus compté dans ma vie pour le moment. Il s’appelait Grégory et il était mon meilleur ami. Je l’avais rencontré en maternelle et l’on s’était tout de suite très bien entendu. Nous étions, avec le temps, devenus inséparables. Je faisais partie de sa famille comme il faisait partie de la mienne, il était mon petit frère en quelque sorte et j’y tenais comme à la prunelle de mes yeux. Seulement Greg était malade, gravement, et à l’âge de 13 ans, il est parti je ne sais où, sans moi.

De mon côté, j’ai commencé une sorte de dépression. Je n’étais pas bien dans ma peau, j’étais plutôt cynique, critique, sarcastique envers le monde qui m’entourait et j’ai eu bien du mal à me faire des amis dignes de ce nom. J’ai perdu le sens commun des relations amicales. En fait, j’ai désespérément cherché une relation aussi forte que celle que j’avais eue avec Greg. D’une part parce que ça me manquait et d’autre part parce que je n’avais pas de relations très fortes avec ma famille, ce qui était à l’origine d’une sorte de besoin affectif très important. Je recherchais des amitiés avec tout le monde et n’importe qui, et j’ai bien souvent trouvé n’importe qui. D’un autre côté, l’adolescence fut le moment où j’ai commencé à réaliser l’existence d’une attirance pour les garçons. Si j’en avais conscience, je refusais de l’accepter, me disant que ce n’était pas possible, que je devais devenir dingue. Et ça me paraissait d’autant plus dingue que, dans la cour de récré du collège, les gars se traitaient de pédés, de tapettes, je vous en passe et des meilleures. Difficile d’assumer une attirance pour les garçons quand on se rend compte que ladite attirance est sujette à raillerie et à l’origine d’insultes assez violentes. Je vivais dans un milieu où assumer n’était même pas envisageable.

À 15 ans, j’ai pris la mesure de mon attirance pour les hommes, sans pour autant l’avoir acceptée. Je pense que je ne m’étais toujours pas remis de la mort de Greg non plus, tant de choses qui font que j’étais incapable d’assumer une quelconque différence. J’ai essayé de calquer mon comportement sur celui d’autre personne, mais je me suis vite rendu compte que ça ne me menait pas loin. Je rentrais les soirs chez moi avec énormément de peines, de tristesses, je me savais différent et ça me rendait presque malade. J’en pleurais. Je me souviens de certains jours où, dans les cas les moins graves, je me “punissais” en me forçant à manger plus que ce que j’avais envie, dans les plus graves en frappant du poing dans les murs (les murs en ont gardé de sacrés souvenirs d’ailleurs). J’ai même pensé au suicide, très souvent mais heureusement sans jamais passer à l’acte. Je pense que ça aurait causé plus de problèmes que ça n’en aurait résolus. Je ne me reconnaissais plus, je n’avais d’ailleurs plus rien de ce qui faisait que j’étais moi. J’étais de plus en plus irritable, de plus en plus asocial, pessimiste, plus rien n’avait d’importance. J’ai perdu, petit à petit, mes amis et je me suis même éloigné de ma famille, à part peut-être de ma Grand-Mère qui m’a pratiquement élevé et que je n’ai jamais voulu délaisser d’aucune manière. C’est à 15 ans que j’ai commencé les conneries qui allaient durer presque 4 ans.

J’ai commencé à aller à des fêtes (à l’insu de mes parents). Si je ne buvais pas, je profitais énormément de la consommation alcoolique des autres. Je peux le dire, j’ai couché à droite et à gauche pendant tout ce temps. Femme, homme, parfois les deux en même temps, j’ai fait l’expérience de tout pendant cette période. Dans mon esprit, c’était plus pour me punir que pour me faire plaisir, le pire étant que j’y prenais du plaisir et qu’au bout du compte j’en avais honte. Dans une certaine mesure, cette période m’a aussi permis d’assumer un peu, malgré la honte : c’étaient mes premiers pas vers la libération.

J’avais 18 ans quand j’ai rencontré Marc dans une soirée. J’ai eu une grande discussion avec lui, il m’a confié être gay et en être pleinement satisfait. Il était même fier de l’être. Je l’écoutais parler, me dire qu’il ne se sentait pas différent, qu’il était quelqu’un comme tout le monde et que, comme tout le monde, ça lui arrivait d’être amoureux. Pour moi, ça a été un choc, je ne m’étais jamais imaginé l’homosexualité sous l’angle des sentiments. J’étais comme beaucoup de personnes : gonflé de préjugés et faisant l’amalgame homosexualité=sexualité. J’ai pris conscience que j’avais été idiot et j’ai pu amorcer mon premier coming-out auprès d’un cercle restreint d’amis. C’était un grand pas en avant pour moi. Cependant, je n’avais toujours pas repris espoir, cela faisait plus de 3 ans que je n’avais pas eu de relation stable et, vu mon comportement, je ne me faisais pas vraiment d’illusions. J’ai donc continué à enchainer les histoires d’un soir. Jusqu’au jour où, en m’éveillant dans une chambre inconnue, au côté d’un inconnu, ne me rappelant pas ce que j’avais fait la veille, comprenant simplement que l’inconnu et moi n’avions pas conté fleurette, j’ai été pris d’une angoisse incroyable. Peut-être que ça paraîtra idiot à certains, mais j’ai eu peur d’avoir attrapé le SIDA… J’ai eu quelques rapports non protégés pendant cette période sombre et, ce jour-là, j’avais réalisé que je m’étais exposé plus que de raisons. J’ai fait le test qui, à mon grand soulagement, est revenu négatif. C’est ce jour-là que je me suis décidé à me reprendre en main.

J’ai commencé par assumer auprès de tous mes amis. J’ai eu les réactions les plus chaleureuses comme les plus dégueulasses, et au final ça m’a permis de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises fréquentations. J’ai eu quelques réactions idiotes et surprenantes (du genre “Ah t’es bisexuel ? C’est comme hermaphrodite, non ?”). J’ai réussi à avoir une relation stable pendant quelques mois, même si ça s’est soldé par une rupture. Je désespère de trouver à nouveau quelqu’un puisque je suis incapable de faire le premier pas vers les gens et que je n’ai pas vraiment l’occasion de faire de nouvelles rencontres. Mais bon, j’ai 21 ans et toute la vie devant moi. Des occasions, j’en aurai bien.

La seule chose qui m’attriste, c’est d’être incapable de dire à mes parents que je suis bisexuel. Je n’arrive pas à faire mon coming-out devant eux. J’ai essayé, à plusieurs reprises, sans pour autant y parvenir. J’ai fait un pas en avant en le disant à mon grand frère, mais depuis je ne l’ai confié à personne d’autre de ma famille. Je voudrais qu’ils sachent, mais j’ai peur. Les réactions des gens sont tellement imprévisibles. Et puis, j’ai mis tellement de temps à construire une véritable relation avec mon père que je ne voudrais pas, à cause de ça, perdre tout. Ma mère, elle, a l’air de se douter de quelque chose, mais je n’en mettrais pas ma main à couper. C’est, aujourd’hui, ma seule douleur encore vive : mes parents ne savent pas qui je suis vraiment. Autour de moi, il ne me reste qu’un ami gay et on ne peut pas dire qu’il ait vraiment eu le choix de le dire à ses parents, il a plutôt été victime d’un outing. Je n’ai pas “d’expérience” sur laquelle me baser pour le dire aux miens. Et j’ai tellement peur de casser une relation que j’ai mis des années à construire que je subis une sorte de blocage.

Ce qui rend difficile mon coming out auprès de mes parents, c’est peut-être d’avoir été en grande partie élevé par ma grand-mère. Ça a donc restreint grandement les relations que je pouvais avoir avec mon père et ma mère. Je les voyais assez peu et, par conséquent, arrivé au moment de me découvrir, de comprendre qui j’étais réellement et d’accepter ma bisexualité, je me suis rendu compte que je les connaissais peu, finalement. Mieux les connaître aurait sans doute facilité la communication. J’ai essayé, à plusieurs reprises, de le dire mais les mots me sont toujours restés dans la gorge. Pourtant, plus le temps passe, plus je construis une relation solide avec mes parents (ce depuis deux ou trois ans maintenant), je les connais mieux et je les imagine de moins en moins avoir une réaction déplacée à la nouvelle de mon coming out, mais je bloque toujours. Je n’ai qu’une explication à cela : c’est la peur de voir ce que j’ai construit avec mes parents se détruire par une remarque, un regard, une réaction qu’ils pourraient avoir lorsque je le leur dirai. Je suis de nature pessimiste, non pas que je vois toujours les choses du mauvais côté : en fait j’envisage toujours toutes les possibilités dans une situation donnée, m’obligeant à examiner la meilleure comme la pire des possibilités. Obtenir la pire situation dans un contexte est toujours un risque et, suivant les tenants et les aboutissants de la situation, je prends le risque ou non. Ici, dans ma situation, je suis incapable, pour le moment, de prendre un tel risque. Sûrement est-ce un tort de ma part de penser ainsi, mais j’ai tellement subi de la part des gens durant toute ma vie que j’ai dû trouver un moyen efficace de me protéger et c’est le seul que j’ai trouvé.

Sur le fond, mes parents ne m’apparaissent pas comme homophobes. Ils ont toléré bien trop de choses pour se choquer de ma sexualité. Cependant, il y a ces petites phrases de rien du tout, ces remarques qui, loin d’être outrancières ou dégradantes, me bloquent, me blessent à chaque fois. Ce sont des remarques du quotidien mais elles sont très incisives lorsque l’on est dans ma situation, ou même dans la situation de n’importe quel homosexuel ou bisexuel, je suppose. C’est un peu comme dans la pub pour MacDo qui passait pendant la coupe du monde de football, où l’on voyait un garçon dans un restaurant de la chaine avec son père discuter avec son petit-ami par téléphone et dont le père, revenant après que son fils avait raccroché, lui dit qu’il aurait toutes ses chances avec les filles si seulement sa classe n’était pas composée uniquement de garçons. Mine de rien, l’espoir du père de voir son fils trouver une petite-amie est blessant, je trouve, pour le garçon et son petit-ami. C’est un peu ça que je vis et qui me bloque. Ma mère, parfois mon père, me posent souvent la question de savoir quand je vais ramener “une bonne amie” à la maison. Ou alors c’est la remarque sur de probables futurs petits-enfants “Surtout ne me fais jamais une petite-fille”. Le fait est qu’il est fort peu probable que je lui fasse un quelconque petit-enfant : je suis bisexuel, certes, mais avec une attirance plus prononcée pour les garçons. Du moins c’est l’impression que j’ai (je regarde plus facilement les garçons que les filles), même si une histoire avec une fille ne me dérangerait absolument pas (négliger cette possibilité serait dommageable, ça pourrait me faire louper des occasions).

Je redoute aussi ce que la surprise ferait dire à mes parents et qui serait de toute façon blessant pour moi. J’ai remarqué cela en l’annonçant à mes amis : je me rendais compte que chaque fois que quelqu’un manifestait une réaction (positive ou négative), j’en étais vexé. Je considère ma bisexualité aussi naturelle que l’hétérosexualité et je n’ai aucun problème à l’assumer publiquement (sauf devant mes parents !), en allant parfois jusqu’à plaisanter, à faire des sous-entendus, à faire de l’autodérision à ce sujet. Le fait de manifester une quelconque réaction me laisserait à penser que je suis différent d’une certaine manière, alors que je ne me sens pas du tout comme ça. Ainsi le “mais c’est génial !” d’une amie m’a autant blessé que le “c’est dégueulasse” d’un autre. C’est peut-être un peu trop radical, je m’en rends bien compte. Au final, la meilleure réaction fut celle d’un ami qui, en se proclamant purement hétérosexuel, me faisait redouter sa réaction. Je m’attendais presque à une réaction de rejet et lorsque je lui ai annoncé, il m’a regardé et m’a dit : “Et alors ?”. C’est la seule fois où j’ai été transporté par la réaction d’une personne à qui je faisais mon coming-out.

Je tiens enfin à dire que je ne vois pas ma bisexualité comme une faute ou un problème. Bien au contraire, je m’en vanterais presque si je n’étais pas aussi timide. Le dire et l’assumer ne me dérange absolument pas et tant pis pour ceux qui n’aiment pas ça. La seule chose, c’est que j’en ai assez des regards de certains qui me fixent parfois comme si j’étais une sorte de pestiféré ou je ne sais quoi. C’est la seule gêne que je pourrais avoir vis-à-vis de mes attirances et de mes préférences, le regard des idiots peut vite devenir pesant.

Témoignage reçu en octobre/novembre 2010

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vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
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