Amour / Questionnements

Être homosexuelle, un combat quotidien


Temps de lecture: 13 minutes

Je vais vous raconter ma rencontre avec une fille. Cette fille, c’est un stéréotype à elle toute seule. Cheveux courts, teinture bleue, piercing et écarteur, tenue baba cool, démarche de garçon, littéraire, fan d’opéra et de théâtre, végétarienne, écolo… Vraiment, un cliché à elle toute seule.

C’était durant un pèlerinage à Lourdes, et dès le début, je l’ai remarquée. En même temps, elle passait difficilement inaperçue ! Elle est venue me parler la première, et elle m’a directement plu. Petite rectification : son sourire en coin m’a totalement charmée. Elle s’appelait Florise*, ça m’a fait penser aux Frosties, du coup j’ai réussi à retenir son prénom. J’ai une très mauvaise mémoire, quand il s’agit de retenir les prénoms, alors du coup je dois trouver des moyens pour m’en souvenir. Frosties, c’était bien.

À chaque pause, elle venait m’adresser quelques mots. Et à chaque fois, je devenais nerveuse : je ne savais ni quoi dire, ni quoi faire. Dans ma tête résonnaient des questions existentielles : “Mes cheveux sont bien, là ?” ; “Je suis bien habillée ?” ; “Mince… J’espère que mon haleine ne pue pas” ; “Oh la la… Je lui dis quoi ?! Trouve un truc intéressant, n’importe quoi !”.

Je voulais lui plaire et je ne savais absolument pas comment faire. J’étais nerveuse, je bégayais, je perdais mes mots et mon cerveau semblait s’être fait la malle, de même que ma personnalité. Bref, bof bof pour draguer une nana. Surtout quand on lui avoue qu’on se souvient de son prénom parce qu’on l’a associé à des céréales. Mais ça l’a fait rire, alors j’étais super fière de moi.

Après le voyage en car et après avoir déposé nos valises à l’hôtel, on est directement allés au sein même de Lourdes pour l’accueil. Il faut savoir une chose, à propos de moi : je ne suis absolument pas catholique. J’ai du mal à croire en Jésus, j’ai une vision totalement différente de Dieu mais j’adore Marie. Je pense sérieusement à inventer une nouvelle religion, en fait.

Alors bon, quand ils ont tous commencé à chanter des musiques catholiques, j’étais partagée entre l’envie irrésistible de me tordre en deux pour m’esclaffer ou partir en courant. C’est vrai quoi, j’avais l’impression d’avoir atterri en plein tournage de High School Musical version religion !
Mais j’ai fait l’effort suprême de les honorer d’un minimum de participation, parce que la fille semblait s’éclater et connaissait toutes les musiques par cœur. Donc, si une fille qui avait l’air aussi cool qu’elle participait à cette espèce de secte musicale, je pouvais également le faire… Enfin, je pouvais taper dans mes mains quand ma monitrice me foudroyait du regard pour que je le fasse.

Après cet accueil haut en chanson, on est tous rentrés à l’hôtel pour ranger nos affaires et manger un bout. La fille avec qui je partageais ma chambre avait 2 ans de moins que moi, se comportait comme une racaille et n’était franchement pas une lumière.

Après le repas, on est ressorties pour assister à une espèce de messe ou un truc du genre (je vous l’ai dit, je ne suis pas catholique). Sur le trajet, la fille est revenue me parler. Apparemment, elle connaissait un garçon de mon lycée, qui était dans mon cours d’italien. Ils parlaient de la cousine du gars, alors pour m’incruster dans la conversation, j’ai dit que je la connaissais. Je leur ai fait croire pendant 3 minutes comme ça, et Florise m’a demandé si la cousine m’avait charbonnée. Je l’ai regardée en mode : “Hein ? Si elle m’a charbonnée ? Mais… Non, je ne suis pas un feu !”. En fait, charbonner veut dire draguer. Du coup, je me suis faite une note à moi-même pour plus tard : apprendre le vocabulaire de ma génération, pour éviter de regarder les gens avec des yeux de merlans frits.

Durant cette “messe”, deux élèves de chaque lycée devaient présenter leur établissement vite fait. Alors du coup, je me suis imposée. Pourquoi ? Pour qu’elle me remarque, voyons ! Et qu’elle se dise “wahou, cette nana n’a peur de rien !”. Je me suis plus ridiculisée qu’autre chose, mais le ridicule m’a toujours fait rire, alors je m’en fichais un peu.

Après ça, je crois ne plus l’avoir revue de la soirée. J’étais loin de mes copines, je partageais ma chambre avec le genre de fille que je ne supportais pas… Et ma future conquête tournait dans ma tête. Alors bien évidemment, j’ai appelé mes copines pour leur faire un rapport. Ça a donné ça :
– Les filles ! Je crois qu’une meuf me drague !
– Nan ? Ok, toi tu pars dans un coin paumé et on te drague et nous on a rien, c’est nul !
– Fallait bien qu’un truc cool arrive !

Ouais, elles ont ragé, ça m’a fait rire.

Le lendemain (jeudi), je ne l’ai pratiquement pas vue. La poisse. Mais le soir, j’ai reçu une notification sur Facebook : elle m’avait envoyé une invitation ! Toute contente, j’ai ouvert mon compte pour l’accepter, mais l’invitation était introuvable. Gros bug dans mon cerveau, ma mamie intérieure est ressortie et on était en mode “comment fonctionne Facebook, déjà ?“.

Vendredi soir, j’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai ajoutée moi-même. Pourquoi pas avant ? Parce que c’est super flippant ! Il a fallu que je pèse les pour et les contre, que j’envisage toutes les possibilités et les conséquences avant de faire mon choix. Je suis un peu longue à la détente, je sais.
Elle a directement accepté mon invitation et m’a envoyé un message très simple : “hey”, auquel j’ai répondu un truc du genre “Salut toi ! Comment ça va ?”. Et on a démarré notre conversation tranquillement. Il était à peu près minuit, le lendemain on se levait vers 7h30, j’étais démaquillée, en pyjama, et enfin calée dans mon minuscule lit. Et elle a dû juger que c’était le moment parfait pour m’inviter dans sa chambre, parce qu’ils faisaient une petite soirée silencieuse (bah ouais, le couvre-feu les gars !). J’ai refusé, impossible qu’elle me voit sans maquillage.

Samedi, on a passé notre journée à se parler sur Facebook et à essayer de se voir. Mais moi, j’étais encore plus gênée qu’au tout début. Je ne savais vraiment pas quoi dire une fois face à elle, j’avais peur de me ridiculiser, alors je me taisais. Ce qui est bizarre, parce que normalement, je suis une vrai pipelette et j’adore me ridiculiser, c’est super drôle je trouve. Mais avec elle, impossible. Elle me plaisait trop pour que je me ridiculise et perde toutes mes chances avec elle. Ma confiance en moi a fait une chute libre devant elle. Puis, il faut dire ce qu’il en est : mademoiselle faisait une prépa littéraire hypokhâgne, était super cultivée et écrivait super bien français. Et moi, une première STMG, je ne faisais définitivement pas le poids (dévalorisation, quand tu nous tiens…).

Ce jour-là, j’ai également fait la connaissance d’une fille super douée pour le slam (comme Grand Corps Malade) qui avait un handicap aux jambes ou un truc comme ça. Et moi, les gens qui écrivent aussi bien qu’elle, je kiffe ! Alors j’ai voulu la raccompagner dans l’hôpital de Lourdes (là où elle séjournait durant le pèlerinage) après avoir passé la soirée avec elle. Et ma Frosties, bah elle la connaissait, vu que c’était la quatrième fois qu’elle faisait Lourdes. Alors du coup, je lui ai proposé de la raccompagner avec moi.

Il y avait une animatrice avec nous, du coup je poussais le fauteuil roulant de la fille et parlait à Florise. On a eu une trentaine de minutes rien que pour nous et j’étais juste super contente ! Dans ma tête, il y avait une centaine de moi en train de danser dans tous les sens et de crier comme des débiles. Bien évidemment, je ne laissais rien paraître. J’étais tellement stressée et obnibulée par elle que je ne faisais attention à rien d’autre que son sourire super craquant en coin et ses yeux bleus pétillants.

Point négatif ? Elle parlait de ses exs. Et elle en avait beaucoup.
2nd point négatif ? J’avais eu une seule petite amie de deux semaines et 2 ou 3 autres aventures. Confiance en soi ? Adieu.

Je n’arrivais pas à être vraiment moi-même, c’était horrible. Elle me mettait dans un de ces états…

Quand on est retournées parmi le reste de la population qui s’apprêtait à aller faire un dernier tour à la grotte de Bernadette, j’ai rejoint une copine que je m’étais faite. Le sourire jusqu’aux cheveux, je lui ai tout raconté. Et cette imbécile m’a demandé une question totalement stupide : “il y a eu bisous ?“. Une minute plus tard, miss cheveux bleus se ramène et la première chose qui me vient à l’esprit, c’est cette question.

Du coup, mon cerveau a eu un énorme bug et j’ai dû faire un effort considérable pour empêcher mes yeux de fixer sa bouche. Sa très belle bouche. Du coup, elle a dû me prendre pour une débile parce que je n’arrivais pas à aligner plus de deux mots correctement. Du coup, elle est partie rejoindre ses copines pour partir.

Et moi, j’ai retrouvé la mienne pour l’assassiner du regard. Ça m’avait bien perturbée, cette histoire de bisou !

Le soir, Florise répondait super lentement sur Facebook. Quand elle répondait 1h plus tard, j’étais super énervée. Bon, vu que c’était le dernier soir, on était allées acheter de quoi picoler un peu avec les filles. Vers 3h du matin, la sœur et la collègue de Florise nous ont rejointes et m’ont parlé d’elle. Au moment où on décidait de la rejoindre dans sa chambre, deux coups se sont fait entendre sur notre porte. Bon, bah on s’est fait griller et engueuler quoi.

Dimanche matin, c’était le départ pour rentrer à la maison. Heureusement, on était dans le même car. Je n’avais qu’une seule envie, qu’elle s’assied à côté de moi ! Mais non, elle a dormi pendant 3h à côté de sa pote, du coup je ne pouvais même pas lui parler. La haine.

Mais à midi, on est un peu resté ensemble. Et au moment de remonter dans le car, j’ai fait en sorte qu’elle vienne à côté de moi ! Trop de talent en moi. Du coup on a passé le reste du trajet ensemble, j’étais trop contente. Seul petit bémol, on était pas vraiment à côté, parce que ma pote dormait justement à côté de moi. Par chance, le siège juste à côté était libre, c’est donc là qu’elle siégeait.

Je pense que mon regard criait haut et fort : “TU ME PLAIS !”
Je la regardais en souriant, les yeux pétillants, je gloussais, je me touchais les cheveux, je détournais le regard… Bref, j’étais pathétique.

Quand on est enfin retourné sur Marseille, j’étais en plein conflit intérieur : est-ce que c’était la dernière fois qu’on se voyait ? Je n’avais pas prévenu mon père qu’on était arrivés, histoire de pouvoir un peu profiter d’elle. Mais cette traîtresse devait partir directement avec ses copines. Du coup, elles la pressaient, mais elle restait obstinément à côté de moi. Finalement, on s’est fait la bise et elle est allée chercher sa valise. Puis elle est revenue, a penché sa tête, du coup j’ai amorcé le mouvement de bise encore une fois, mais elle a reculé sa tête. Elle regardait ses copines avec un sourire en coin, qui l’attendait plus loin, et semblait perdue.

Je suis peut-être bêbête, mais je savais qu’elle se demandait si elle pouvait m’embrasser. Et comme je trouvais ça super drôle, je l’ai laissée galérer en attendant. Finalement, elle m’a dit que ses copines allaient perdre un Mc Do. Je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu parce qu’elles avaient parié qu’on allait s’embrasser. Ça m’a fait rire et jubiler : elle avait parlé de moi à ses copines !

Finalement, elle m’a regardé et m’a dit : « si je tente de t’embrasser, tu me remballes ? ». Je lui ai dit que oui, si elle n’avait pas pour ambition de continuer de me parler. Elle m’a répondu : « Et si je continue de te parler, tu ne me remballes pas ? », je lui ai dit non.

Elle m’a embrassé.

Puis elle est partie, et j’étais super contente. J’avais envie de sauter partout en secouant mes poings dans tous les sens, mais je me suis retenue parce que je n’étais pas seule.

J’ai attendu 8 heures avant qu’elle ne m’envoie un message et pendant tout ce temps-là, je me suis fait un tas de scénarios. J’étais énervée contre elle, je pensais qu’elle s’était jouée de moi, je me disais que je n’aurais pas dû l’embrasser, que j’aurais dû prendre mon temps.
Mais finalement, quand elle m’a envoyé un message, j’étais ravie !

On s’est revue 2 ou 3 fois par la suite et elle m’a embrassée une nouvelle fois. Elle me plaisait vraiment, mais je n’étais toujours pas moi-même avec elle. Et puis, elle mettait vraiment du temps à répondre à mes messages, ça me rendait folle parce qu’elle les voyait ! Du coup, je lui ai fait un premier coup de gueule. Après ça, elle répondait super vite, encore plus vite que moi !
Mais voilà, elle m’a appris qu’elle ne serait pas sur Marseille pendant toutes les vacances et ça ne semblait absolument pas la déranger. On était pas en couple, je ne savais pas ce qu’elle attendait de moi, je ne savais pas ce qu’elle pensait et j’avais peur. Alors, je lui ai fait un deuxième coup de gueule, ce qu’elle a mal pris.

A partir de là, les messages se sont faits très rares. J’étais coincée entre la colère et l’envie de lui parler, parce qu’elle me plaisait vraiment.
Il y a deux jours, on s’est revues une dernière fois : ça s’est mal passé. Le lendemain, elle s’est excusée pour son comportement, je lui ai dit que ce n’était pas grave, elle n’a rien répondu.

Cette fille, je l’ai rencontrée il y a trois semaines environ.
Deux mois avant, je comprenais que je n’étais pas bi, mais lesbienne.

Pourquoi je me suis attachée à elle aussi vite ? Je pense que c’est parce que j’ai peur. Accepter le fait d’être bisexuelle avait déjà été dur pour moi, alors quand j’ai compris que j’étais lesbienne… Je me suis sentie perdue et seule.

Trouver un copain, c’est super facile… Trouver une copine, c’est super compliqué. Déjà parce que rencontrer des filles qui font partie de la communauté LGBT, ce n’est pas évident, quand on ne sort pas beaucoup… Et ensuite, parce qu’en trouver une qui nous plaise, c’est encore plus dur.

Accepter son orientation sexuelle, ça fait peur.

Personnellement, je l’ai acceptée. Mes amies et ma mère sont au courant. Je l’assume très bien, parce que je me fous du regard des gens sur ça : c’est ma vie et je la vis comme je veux.
Mais… Au fond de moi, j’ai mal. J’ai mal parce que tous les films d’amour sont hétéros, parce que tous les Disney sont hétéros, parce que toutes les musiques sont hétéros, parce que notre société est hétéro, parce que le monde est hétéro. Et je suis lesbienne, alors je me sens seule.

L’accepter est une chose, la vivre en est une autre. Et quand on aimerait être en couple, quand on aimerait avoir quelqu’un avec qui partager un secret d’amour, des papouilles, des câlins et des bisous… Ça devient dur, parce qu’on se sent seul.

On comprend qu’on ne vivra sûrement pas une de ces superbes histoires d’amour hollywoodienne, qu’on devra se battre toute notre vie pour nos droits, qu’on sera jugées en permanence, qu’on éprouvera la solitude et la peur, qu’on se sentira souvent rejetées.

Certains peuvent trouver ça cool, certains peuvent avoir peur. Certains peuvent nous faire des remarques agressives, d’autres peuvent nous accepter comme on est et nous défendre.
Mais le problème, c’est que la société en elle-même ne nous accepte pas. Le problème, c’est qu’on doit s’informer par nous-mêmes pour trouver des réponses, le problème, c’est qu’on doit chercher par nous même pour se faire soutenir.

Être homosexuelle, c’est un combat au quotidien.
Je suis lesbienne et j’aimerais pouvoir dire que ce n’est pas un problème, que je le vis bien…
Mais ça serait mentir.

* le prénom a été modifié.

Témoignage reçu en juin 2017

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.