Bonjour,
Je m’appelle Audrey*, j’ai 21 ans et je décide pour la première fois de parler de ma bisexualité. Bien qu’aujourd’hui la plupart des gens de mon entourage soient au courant, je pense que personne ne sait réellement comment je la vis. De plus, je pense qu’il est important d’en parler, pour ceux qui se posent des questions, qui ont besoin de savoir qu’ils et elles ne sont pas seul-e-s.
Je ne me rappelle pas comment j’ai découvert ma bisexualité. Mon plus lointain souvenir remonte à l’école primaire. Je me suis toujours sentie bien avec les filles comme avec les garçons. Mais je n’avais pas conscience qu’aimer les filles pouvait être un problème. Et puis un jour, il y a eu une prise de conscience. Je me suis alors dis que je n’étais pas normale… Que ce n’était pas normal… Et c’est là que tout a changé. Petite, j’étais réservée et timide, assez solitaire, mais malgré tout j’avais beaucoup de caractère. À partir de ce moment, j’ai perdu confiance en moi, je me suis enfermée sans m’en rendre compte et je ne savais plus ce que je devais être… J’avais peur de sortir, de m’adresser aux gens. Comme si déjà à cet âge, j’avais peur qu’on découvre que j’aimais les filles ! Pourtant j’ai de la chance. Je suis née dans une famille ouverte d’esprit, qui aime, et qui ne veut que le bien-être de ses proches. Une famille qui ne juge pas mais qui conseille et soutient.
Bref après l’école primaire, vint le collège ! J’ai vécu deux belles années seulement au collège sur cinq (j’ai redoublé). Le reste, j’aimerais l’oublier. Pourtant j’essaye toujours de tirer une leçon positive du passé mais là j’ai beau chercher, je n’y arrive pas. Je détestais qui j’étais. C’est vrai que c’est classique à cette période de la vie, mais j’avais envie de disparaître. Cette perte de confiance continuait et dans mes relations, je ne savais pas quoi faire… Je ne me sentais à ma place nulle part… Par rapport à mes attirances, je me suis posé une question, horrible, mais en même temps elle m’a permis de changer par la suite. Je me suis dis qu’il fallait que je fasse un choix entre les hommes et les femmes. Que c’était pas normal. C’est à dire que même être lesbienne me paraissait plus normal que bi. Que c’était soit l’un soit l’autre. Alors j’ai cherché dans les livres, en pratique je m’auto-analysais, mes comportements, mes sensations, mais en vain… Et puis je ne sais par quel miracle, mais j’ai enfin trouvé une réponse. Enfin je prenais conscience que je n’avais pas à choisir. Pourquoi devrais-je choisir ? Je suis comme ça, au nom de qui de quoi devrais-je me priver des hommes ou des femmes ? Je veux aimer quelqu’un et être aimée, que demain ce soit une femme ou un homme, qu’est-ce que ça change ?
J’avais enfin franchi une étape et il me restait encore à me retrouver. À retrouver l’Audrey que j’étais. Beaucoup de personnes sans le savoir m’ont aidée. Au lycée, j’ai vécu plein d’expériences dans le secret total. J’ai vécu de belles choses et des choses tristes, comme tout le monde je pense. Mais je savais que j’étais moi et j’ai commencé à apprendre à m’aimer. Je ne l’ai jamais dit car je n’en avais pas le besoin, pour moi j’apprenais à me découvrir, j’avais trop souffert du regard des autres et je savais que celui-ci pouvait vous enfermer dans une case, chose que je ne voulais absolument pas. Je ne voulais pas l’annoncer à mes parents, ça me paraissait ridicule, je m’étais dit que le jour où ils rencontreraient une personne que j’aime, eh bien ça se ferait naturellement si c’était une fille. Je savais qu’ils accepteraient ! C’était une évidence.
Mais pendant la période où l’on a parlé du mariage, beaucoup de choses m’ont bouleversée. Et à la veille de toutes les manifestations contre le « mariage homo », j’ai décidé de le dire à mes parents, parce que je savais que je ne tiendrais pas. Et j’ai eu raison : j’ai dû passer une semaine où tous les soirs je pleurais devant ma télé. Impossible de l’éteindre. C’est comme si on parlait de vous sans que vous puissiez parler, vous exprimer ! Et puis je pensais à tous ces jeunes vivant dans le secret et qui devaient entendre des propos blessants, de haine, parfois de leur famille. Comment se sentaient-ils ? J’aurais aimé pouvoir parler à tous ceux-là… Ma chance m’a fait beaucoup de mal à ce moment, je trouvais ça injuste. Je ne me plaignais pas parce que je n’avais pas le droit. Mais si vous saviez comme je souffre. J’ai beau avoir beaucoup de chance je ne me sens toujours pas à ma place aujourd’hui. Je souffre de l’intolérance, du manque d’ouverture d’esprit. De l’égoïsme. Et nous sommes nombreux dans ce cas. Je n’ai même pas eu le courage de manifester, parce que ça n’a pas de sens pour moi. Cette société… Encore une fois, on a de la chance en France de pouvoir s’aimer « librement » et heureusement tout le monde n’a pas la haine envers les homo mais cette société ne me convient pas. Quand je me dis que si je fais ma vie avec un homme ça sera complètement différent, ça me met hors de moi ! Je ne veux pas me battre pour aimer ! J’en ai marre de surveiller autour de moi quand je veux embrasser la femme que j’aime ou lui tenir la main ! J’en ai marre ! Je ne supporte plus ça. Ça me ronge… Et tellement de choses me font de la peine.
Mais je pense qu’il ne faut jamais rester seul. Il faut en parler. Il ne faut plus que ce soit un tabou. Et bisexualité ne rime pas avec « paumé », il faut être honnête avec soi-même pour savoir qui on est. Et si demain ça change et bien ça changera. Arrêtons de nous enfermer et respectons-nous.
Voilà j’ai essayé de raconter un peu ma vie, je n’aime pas trop ça mais si ça peut aider au moins quelqu’un, c’est tout ce qui compte.
* le prénom a été modifié
Témoignage reçu en janvier 2015
Le commentaire de C'est comme ça
Audrey a beaucoup souffert de l'homophobie et de la biphobie émanant de la société. Effectivement, ce n'est pas parce qu'on est relativement protégé dans son milieu familial et amical, que les manifestations de rejet adressées à tous les LGBT ne nous atteignent pas, malheureusement. C'est même ce qui explique en grande partie qu'il soit aussi compliqué de s'accepter : il lui a fallu de nombreuses années, au bout desquelles beaucoup de lectures et de réflexion lui ont permis d'être enfin en harmonie avec elle-même.
Par ailleurs, l'expérience d'Audrey nous rappelle qu'il est aussi compliqué de se découvrir bi-e qu'homo, et aussi crucial de faire comprendre sa situation à ses proches. Pourtant, la bisexualité reste très méconnue et se révèle souvent mal comprise, même au sein du milieu LGBT. Face à ce constat, SOS homophobie s'est associé à Act Up-Paris, Bi’Cause et le MAG Jeunes LGBT pour réaliser une "Enquête sur la bisexualité" dont les résultats sont sortis cette année. Vous pourrez trouver des éléments de réponse aux grandes questions qui persistent : qu'est-ce exactement que la bisexualité ? Quels sont les préjugés les plus tenaces sur les bi-e-s ? Quelle est leur visibilité ? A découvrir en suivant ce lien.
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vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
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