Vivre dans la peur


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Je m’appelle Joan*. J’ai 18 ans et je suis étudiante. Je tiens aujourd’hui à parler de mon homosexualité, car j’ai besoin de me libérer, de me sentir mieux, face à mon témoignage. Peut-être certaines personnes pourront me comprendre à travers mon histoire et ce que je vis.
Je pense toujours avoir su que j’étais lesbienne, sauf que, quand on est trop jeune, on n’ose pas se l’avouer et on ne l’assume pas forcément. Depuis plusieurs années à présent, je pense réellement faire face à cela, me dire lesbienne. Je n’ai jamais eu d’attirance pour les garçons, ils ne me faisaient rien, j’étais indifférente face à eux. Je me savais différente et je ne voulais pas crier sur tous les toits que j’étais lesbienne, vous imaginez certains points de vue ou jugements de la part d’autrui.
J’ai rencontré ma meilleure amie au collège, il y a maintenant plusieurs années, je ne lui ai pas dit tout de suite que j’étais lesbienne, mais avec elle je me sentais en confiance et je la sentais suffisamment ouverte d’esprit pour qu’elle comprenne. Alors au bout de quelques mois je lui ai dit mon homosexualité, elle n’a pas été choquée ou étonnée, elle l’a d’ailleurs très bien pris. Elle m’a soutenue, aidée et ne m’a jamais repoussée face à cela, elle m’a dit aussi qu’elle sera toujours là pour moi, quoiqu’il arrive, et que cela ne changerait rien entre nous. Elle m’a même dit que sa propre mère avait deviné d’elle-même que j’étais lesbienne, et l’accepte très bien, ne m’a pas jugée et ne s’inquiète pas pour sa fille (car celle-ci aurait très bien pu croire que j’aurais pu lui faire des avances.) Mais non, je ne confonds pas amitié et amour et cela se passe très bien, je le vis bien.
Puis j’ai rencontré au lycée mon meilleur ami, Marc. Plus d’un an après notre rencontre, il m’a dit que pour lui depuis le premier jour « qu’il a toujours su » ; lui même étant gay, cela ne lui posait aucun problème et il m’a acceptée telle que j’étais. Je n’en parlais à personne d’autre, pour moi c’était trop personnel et je ne souhaitais pas parler de ma vie privée, alors que je voyais à longueur de journée des couples hétéros s’embrasser. Puis un jour Marc s’est senti très mal, en effet son père avait été convoqué au lycée par une de ses professeures, parce que Marc était souvent absent en cours et travaillait moins bien. Il m’expliqua qu’il en avait marre de jouer et de garder ce secret à l’égard de ses parents, il devait leur dire, sinon il exploserait. Alors moi, n’ayant pas encore fait mon coming-out à ce moment-là, je le regardais et je le conseillais. Je lui ai dit que tout dire lui ferait le plus grand bien, que cela lui permettrait de se libérer, d’accepter et assumer ce qu’il est, un être humain avant tout. À la fin de la journée, lors de l’entretien, il l’a annoncé à son père. Celui-ci l’a très bien pris, l’a accepté tel qu’il est et lui a dit « l’important, c’est que je t’aimerai toujours quoiqu’il arrive et même dans les choix de ta vie« . Aujourd’hui il se sent plus libéré, il me dit se sentir revivre. Je fus très heureuse pour lui.

Pour en revenir à moi. Aujourd’hui je témoigne parce que j’ai atteint ma majorité et je n’ai encore pas fait mon coming-out auprès de ma mère. Je sais que l’âge importe dans ces cas-là, l’important est de le dire. Je me sens faible face à cela, mais je n’arrive pas à le faire et cela est par peur, la peur qui me ronge, qui me dit non et qui me repousse alors que j’aimerais le faire. Je ne vis qu’avec ma mère et ne fréquente plus la plupart de ma famille, pour diverses autres raisons. Et pourtant parfois je lui lance des perches, j’essaye de lui faire comprendre, mais rien. Et parfois c’est elle qui m’en lance, elle rigolait et me demandait « alors les amours » ? Un blanc s’installait et là elle me dit « ah oui c’est vrai, tu aimes les filles« . Impuissante je n’arrivais pas à sortir quoique ce soit de ma bouche. Et pourtant, j’ai confiance en moi, en ma mère et je sais qu’elle est très ouverte d’esprit, mais je sens un blocage, me dire « Est-ce que cela n’est pas encore un peu tôt ?« , « Est-ce le bon moment ?« .
J’ai du mal à parler de ma vie privée avec ma mère, en même temps pourquoi se poser la question. Mon homosexualité bloque tout ! Je me bloque ! J’ai l’impression de faire du mal à moi-même, d’avoir peur moi seule. Alors que peut-être cela se passerait vraiment bien et que je vivrais mieux après, ça j’en suis sûre, mais non. J’ai peur. La peur est mon pire ennemi. Et pourtant, il y a peu de temps, j’ai repris confiance en moi, des amis de ma mère sont venus passer la soirée à la maison, et là nous sommes tombés sur le sujet global et vaste de « l’amour ». Là l’ami de ma mère me sort : « Peu importe que tu puisses aimer une fille ou un garçon, l’important c’est que tu sois heureuse, eh oui !« , ma mère elle par derrière me sort : « Si tu aimes les filles, eh bien, je l’accepterai, il n’y a pas de honte à cela« . Vous vous demandez sans doute pourquoi ne pas avoir parlé à ce moment-là ? Je n’ai pas pu, je n’ai pas osé. Je sais que même si nous avons peur pour quoi que ce soit, il faut savoir oser parfois et affronter la vérité, la difficulté.

Je n’ai eu qu’une seule relation pour le moment. J’avais 16 ans et ma copine 18, cela a duré peu de temps entre nous, à l’époque personne n’a été au courant au lycée que je sortais avec elle. Il faut dire que je restais très discrète sur ma vie privée et il y avait plus une communauté d’hétéros que de LGBT. Ma mère n’a jamais été au courant de cette relation. Depuis je n’ai connu personne d’autre. Je travaille chez moi et ne sors pas vraiment, du fait que parfois je n’ai pas envie, je n’ai pas le temps et je n’ai pas vraiment d’amis (mais le peu que j’ai me soutiennent et sont là).
Je me dis que si je rencontrais quelqu’un et si je me sentais vraiment bien avec cette personne, je pourrais la présenter à ma mère et là elle saurait. Mais est-ce la meilleure solution ? Et cela arriverait dans combien de temps ?

J’ai sincèrement cette envie de lui dire, de dialoguer avec elle, car je ne pourrais pas le faire par lettre, mais la peur m’envahit beaucoup trop. Mais je sais qu’une fois dit, je me sentirai encore mieux moi-même, malgré la peur, d’avoir trouvé le courage, d’avoir affronté la réalité en face. Je me sens prête à le dire à ma mère, mais pourtant j’ai cette force incontrôlable qui est là et qui m’empêche de parler sincèrement avec ma mère. Je veux enfin assumer pleinement et complètement qui je suis et je sais que je pourrais le faire et enfin le dire quand cette étape avec ma mère sera passée.

En tout cas je souhaitais dire un grand merci à ce site, qui m’a beaucoup aidée de par les témoignages que j’ai pu lire, je me suis sentie mieux, en confiance et je me dis oui ! je ne suis pas seule au monde. J’espère que mon témoignage aura touché certaines personnes et que d’autres personnes dans la même situation que moi ou pas pourront me comprendre et comprendre ce que c’est de s’affirmer. N’ayez pas peur en tout cas de vous assumer et de l’affirmer. Cela peut paraître très dur à dire (j’en suis la preuve), mais ne vivons pas cachés et n’ayons pas honte de ce que nous sommes.

* : le prénom a été modifié

Témoignage reçu en avril 2013

Le commentaire de C'est comme ça

Dans son témoignage, Joan semble s’inquiéter du fait qu’elle aurait atteint l’âge auquel il serait bon de faire son coming out, sans qu'elle y arrive. Pour nous, il n’y a pas de règle pour le faire, pas d’âge "conseillé" ou d'âge "limite", chaque situation personnelle et familiale est différente. De plus, souvent, ce coming-out qui semble si inaccessible devient faisable quand c’est le bon moment.
À un moment donné le fait de se cacher devient insupportable, et c'est alors que la nécessité de parler finit par s'imposer.

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.