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Un rude apprentissage


Temps de lecture: 11 minutes

Bonjour, je m’appelle Camille*, j’ai 14 ans et je vis dans la Nièvre, en Bourgogne. Je n’aurais jamais pensé écrire mon histoire, mais en ce moment, l’envie se fait plus que pressante et j’ai besoin d’extérioriser tout cela.

Je commencerai par vous dire comment est venue la bisexualité dans ma vie. Ou l’homosexualité, je n’en sais pas grand-chose. Je cherche encore…

À l’époque où j’étais encore un petit élève de primaire, blondinet d’un mètre et quelques, j’étais entouré presque uniquement de filles. Je trouvais leurs occupations, leur mentalité, plus intéressantes que celles des garçons, sans pour autant trouver cela étonnant. Ma meilleure amie aimait beaucoup jouer avec certains garçons aussi. Nous nous « complétions », en quelque sorte. Et puis est venue la fin d’année de CE2, et j’ai dû quitter la « grande bourgade » où se trouvait toute ma vie pour une ville plus grande, Nevers, à vingt-cinq kilomètres de là. C’était une faible distance, mais suffisante pour me faire perdre tous mes amis, et lorsque je suis arrivé au CM1, dans une nouvelle école dont les élèves m’étaient tout à fait inconnus, je me suis senti perdu. J’ai trouvé mes repères au bout de quelques mois, mais je traînais toujours avec des filles. Je voyais bien les regards un poil méprisants des autres garçons, mais cela s’arrêtait là, et je n’avais rien à me reprocher – pour l’instant.

Puis vint le collège. Je pense que pour beaucoup, ce fut une époque compliquée. Les premiers jours de collège, j’ai été très seul, pourtant enthousiaste à ce nouveau monde sur lequel je m’étais bâti des idées bien ambitieuses. Un groupe de trois garçons est venu me parler, un jour, et c’est encore le groupe avec lequel je traîne aujourd’hui. Je n’aurais jamais pensé être ami seulement avec des garçons, et même si j’avais de bonnes relations avec les filles de ma classe, la mentalité du collège – que je jugerai sexiste puisqu’elle est toujours aussi présente en troisième – s’est vite insinuée dans nos habitudes. Faire comme tout le monde ou risquer les insultes et les coups. J’ai très vite détesté cette idéologie-là, mais je n’avais pas bien le choix.

Du fait que je discutais, lorsque je le pouvais, avec des filles, et que je n’avais pas vraiment une attitude virile, pas assez aux yeux de mes camarades masculins en tout cas, j’ai vite été insulté de la fameuse formule « pédé ». Au départ, j’ignorais la signification de ce terme, et j’ai mis quelques mois à comprendre ce que cela voulait dire.

À cette époque, je ne pensais pas du tout à l’homosexualité. C’étaient plutôt les filles qui m’intéressaient, et mon regard ne se portait pas du tout vers les garçons. Bref, j’ai été humilié, moqué, chose qui avait déjà eu lieu en fin de primaire, mais ce n’étaient jusqu’alors que des plaisanteries idiotes comme on peut en faire à cet âge-là. Puis un camarade de ma classe s’est vite démarqué des autres garçons de ma classe, je l’appellerai Raphaël*.

Celui-ci ne se gênait pas pour, tous les jours, me servir sur un plateau d’argent les insultes et dégradations les plus multiples qui soient. Souvent revenaient des termes homophobes : « tapette, pédale, pédé » et toutes les injures de ce genre, mais aussi d’autres diverses et variées que je ne citerai pas, il est mieux de conserver nos yeux en bon état le plus longtemps possible. Puis au bout de deux ou trois mois, Raphaël passa aux gifles, aux vols, aux croche-pieds, puis progressivement aux menaces et coups. Il s’avéra effectivement, par la suite, que ses offenses étaient clairement homophobes, et qu’il ne balançait pas du pédé juste pour me dégrader. Ses mots étaient choisis.

La cinquième se déroula de la même manière. Petit à petit, je me sentais étouffé, je perdais ma confiance en moi, je me considérais littéralement comme un vaurien. C’était un cycle assez infernal, très dur à supporter. De plus, je ne jouais pas au football lors des cours de sport, je préférais rester sur le « banc de touche », et je pleurais régulièrement pour évacuer la pression, ce qui accentuait l’avis de mes camarades sur ma possible homosexualité, parce que selon eux, c’étaient des marques spécifiques aux gays. J’avais d’ailleurs régulièrement droit à la question « T’es pédé ?« .

La quatrième fut importante dans le sens où j’ai commencé à sérieusement me poser des questions sur mon orientation affective. Aimais-je les hommes, les femmes ? Je n’avais jamais aimé personne, amoureusement, alors comment le savoir ? Raphaël continuait son manège, ses amis aussi, et je ne comprenais pas pourquoi le fait que je sois homo ou pas prenait tant d’importance pour eux. Le groupe de garçons avec qui j’étais ami ne me défendait pas lorsque j’étais attaqué et tous s’affirmaient vraiment comme hétérosexuels, leurs conversations portant presque exclusivement sur les vidéos pornos qu’ils avaient visionnées la veille. Autant dire que cela ne m’intéressait pas du tout.

Je commençais à regarder les garçons d’une autre manière. Certains me procuraient une étrange sensation, de chaleur, de plaisir, lorsque je les voyais, alors que les filles ne me faisaient pas d’effet. Du moins, bien peu. Puis arrive le printemps 2014. Les questions sur la sexualité se multiplient comme des petits chiots dans ma tête et prennent une plus grande ampleur. J’avais peur d’être homo. Non seulement parce que j’imaginais avoir une famille nombreuse avec des enfants qui seraient les miens, avec ma propre femme, etc., mais aussi parce que j’avais peur du regard des autres sur cet « état d’être ». Une nuit, je m’étais réveillé en sursaut, suite à je ne sais quel cauchemar. Puis j’ai commencé à penser à bien des choses en essayant de me rendormir. Et j’ai pensé à la situation que je vivais, aux jolis garçons que je regardais… Et j’ai définitivement choisi d’être ce que je voulais être. Il était clair dans mon esprit que j’étais bisexuel. C’est, bien entendu, resté secret pendant toute la quatrième, et lors de l’été, j’ai réfléchi à tout cela, seul, puisque je n’avais plus vraiment d’amis pour le coup.
La rentrée de troisième est arrivée si vite… Et à l’arrivée dans le hall du collège, je me suis dirigé vers mes quelques derniers amis, les ai salués à plusieurs reprises… Mais aucune réponse. Juste des sourires fourbes que j’avais déjà vus. Mon estime de moi en prenait encore un coup. Je me retrouvais véritablement seul. Heureusement, je n’ai pas été dans la même classe qu’eux, et j’ai fait connaissance avec Andréa, un bonhomme sympathique qui redoublait sa troisième. Enfin je rencontrais quelqu’un de cultivé et il fut le premier à qui je parlai de ma bisexualité. Avec lui, je n’étais pas gêné, je ne me cachais pas (trop). Nous prenions le même chemin pour aller déjeuner chez nous le midi, et lorsque nous passions devant les lycées, je n’avais aucune honte à regarder les beaux garçons et à glisser un petit commentaire sur eux. J’aimais ça.

Puis l’ambiance devint rapidement étouffante. J’avais parlé à mes parents de ma bisexualité. Pour mon père, cela s’est très bien passé, mais ma mère, je fus surpris de voir que cela la gênait. Je pensais qu’elle ne réagirait pas ainsi… De jour en jour, le silence s’installait dans la maison et je ne pouvais pas me confier à ma mère. Je ne pouvais pas non plus me confier à Andréa, ce n’était qu’un ami. Mon meilleur, mais je ne voulais pas lui en parler. Je n’avais pas non plus le courage d’en parler à mon psychologue. Alors je me suis tu. Les passages aux vestiaires, préambules aux cours de sport, étaient insupportables. J’avais tellement envie de regarder les quelques beautés fatales de ma classe, mais imaginez comment on m’aurait considéré si j’avais adopté ce regard-là sur des garçons. On m’aurait encore humilié, insulté. J’en avais plus que marre de cette routine. Le collège non plus ne me plaisait pas. J’avais l’impression de ne pas y être à ma place, de ne pas pouvoir exister, d’être inutile, un fardeau pour l’humanité. Je n’exagère pas, c’est encore ce que je ressens aujourd’hui. J’ai toujours l’impression que les gens me jugent, me détestent. Je me force à ne pas avoir de positions jugées efféminées (jambes et bras croisés…) et je ne peux plus porter certains vêtements (des foulards, notamment) pour éviter les remarques homophobes. J’ai vraiment l’impression de jouer un rôle dans lequel on m’a casé à la va-vite parce que l’on manquait d’acteurs. Ce rôle, il ne me va vraiment pas, je le déteste et je n’arrive plus à le supporter, c’est celui du garçon hétéro.

Vers le début du deuxième trimestre, j’ai fait involontairement mon coming-out, puisqu’en endurance, un des camarades les plus turbulents de la classe est venu me faire des avances… Mais pour rire, bien entendu. Ce n’était pas homophobe, mais ce n’était pas sincère, et j’ai rougi. Les filles de ma classe m’ont alors demandé si j’étais gay et, incapable de mentir sans me faire détecter, j’ai dit oui. Et depuis, j’ai souvent droit à des remarques peu flatteuses, et j’imagine que vous vous savez de quoi je parle.

Aujourd’hui, j’attends avec impatience la seconde, où j’irai, avec un peu de chance, dans un lycée d’art où la mentalité n’est pas du tout la même et où les élèves se respectent d’après les nombreux témoignages que j’ai reçus. Il y a même, là-bas, une communauté LGBT, alors j’espère de tout mon cœur y être inscrit. J’essaie de survivre, car ce n’est pas tant les rares insultes que je peux recevoir maintenant qui me blessent, mais ce que les collégiens disent lorsque l’on parle d’homosexualité, ou lorsqu’ils s’ameutent tous autour du couple de quatrièmes lesbiennes lorsqu’elles s’embrassent. Pourquoi toujours juger au lieu de réfléchir ?
Désolé d’avoir écrit ce si gros pavé, mais j’en avais besoin, j’espère que vous m’aurez compris, il est plus que temps pour moi de devenir quelqu’un, de me délivrer de tout cela, d’être qui je veux, pas un mouton stupide qui suit les autres de peur d’être à nouveau mis de côté et harcelé. Comme dirait Michel Berger, « J’aurais voulu être un artiste, pour pouvoir dire pourquoi j’existe »… Bref. J’espère que vous aurez apprécié ce texte, je suis dans la confidence, mais je ne peux en parler à personne, il n’y a que sur Internet que je me sens à peu près en confiance pour en parler. Je sais que vous n’aurez peut-être pas de solution, mais j’espère connaître quelqu’un qui a vécu une histoire semblable à la mienne… Merci beaucoup !

Témoignage reçu en avril 2015

Mise à jour d’octobre :

Aujourd’hui, je suis effectivement en seconde. Et je dois dire que je me porte mieux ! J’allais dire que Raphaël est parti dans un autre lycée, mais c’est plutôt moi qui ai fait une dérogation à la carte scolaire pour aller dans ce « lycée artistique » dont je vous avais parlé. Là-bas, c’est une grande bouffée d’air frais que j’ai pris ! Je ne vais m’étendre qu’au domaine de l’orientation affective, comme je me plais si bien à dire. Ma classe est relativement ouverte, je m’entends bien avec pratiquement l’ensemble de mes camarades. Certains sont déjà au courant pour ma « bisexualité » (sauf que j’ai horreur de ces étiquettes). Pour autant, il n’y a pas eu de rumeurs comme au collège où certains étaient allés jusqu’à dire que j’étais pédophile, il n’y a pas eu de bouche-à-oreille, il n’y a pas eu de moqueries. L’homosexualité est un sujet qui revient souvent chez certains, mais le débat est très différent de celui que j’ai pu avoir l’année dernière. Ce débat, il est posé, constructif, il y a les « pro » et les « anti », encore que les « pro » sont majoritaires et les « anti » respectueux. Bien sûr, certains clichés du gay efféminé reviennent, mais rien qui renvoie à une soi-disant perversité, maladie ou addiction au sexe.
De mon côté, j’ai mijoté un peu, je m’assume presque complètement – je n’ai jamais vraiment eu de problème à accepter qui je suis. Je suis comme ça, et pas autrement. Pour ça et pour un tas d’autres choses, l’affirmation de mon identité fait partie de mon caractère. Désormais, je suis en paix avec cela. Ma mère sait, et j’ai discuté un soir avec elle, des révélations que je lui avais faites. Elle m’a dit qu’elle ne voulait pas relancer de débat, pensant que j’étais encore un peu perdu, que j’hésitais peut-être encore un peu pour être certain d’aimer et les hommes et les femmes – enfin, cela dépend qui. Mais elle ne m’a pas repoussé, elle a été compréhensive et ne m’a pas embêté plus que cela. La seule question, globalement, qu’elle me posait dans son discours était : « Tu es comme tu es, mais es-tu sûr de toi ?« . Mon père, je pense qu’il met un peu plus de temps à assimiler ces choses-là. Ma vie privée n’est pas un sujet que nous abordons tous les deux et je préfère qu’il en soit ainsi car, qu’il me soutienne ou pas, je ne me sens pas capable de lui en parler ouvertement. Cependant, je pense que mon père accepte, il doit faire un peu de chemin encore, mais pour l’instant, je ne ramène personne à la maison alors…

Je crois que la dernière étape, pour reprendre l’expression, de mon coming-out intérieur, ma « révélation », c’est de discuter de ces choses-là avec d’autres personnes qui sont passées par le même chemin que moi. Lire des témoignages sur internet, c’est bien, mais ce qu’il me faut, c’est discuter de tout ça en vrai, en simultanée.

* les prénoms ont été modifiés.

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.