Un long chemin à parcourir


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J’ai 17 ans, et je suis bisexuel. En écrivant ce témoignage, je veux faire passer un message. Sachant comme il est dur de se trouver et de s’accepter, je tiens à montrer à tous que la découverte et l’acceptation de soi n’est pas qu’une phase de réflexion, mais un véritable parcours, s’étalant souvent sur plusieurs années. Un parcours, certes semé d’obstacles et de mauvaises surprises, mais également, et on l’oublie trop souvent, avec d’intenses moments de joie et d’allégresse. Je ne prétends pas donner une vision universelle de la découverte de son orientation sexuelle, mais simplement expliquer comment cela s’est passé pour moi, et redonner du courage à ceux qui en sont encore au début du chemin.

Tout a commencé à huit ans, la première pierre blanche du chemin est là, marquant à jamais ma mémoire. Avec mes parents, nous étions partis en vacances d’été, comme chaque année, dans un paisible camping du Sud de la France. Cette année-là, je fis la connaissance de Liam (prénom modifié), un jeune garçon de mon âge, avec qui je sympathisai tout de suite. Ensemble, nous parcourions à vélo les allées ombragées et cahoteuses, récoltant à chaque passage la désapprobation du vieux Tibert, celui qui avait son emplacement réservé depuis 15 ans, et qui bougonnait dans son coin à chaque cri d’enfant. La première pierre du chemin ? Je la reçus en pleine tête la dixième nuit de ces vacances on ne peut plus normales. Cette nuit-là, je fis un rêve étrange, quelque chose d’indescriptible, que moi-même je n’identifie pas encore clairement aujourd’hui. Cette nuit-là, je ne sais pas si le terme est approprié, j’eus un rêve érotique mettant en scène Liam, pas vraiment d’une relation sexuelle au sens propre du terme, juste une sorte de chaleur qu’aujourd’hui je catégorise comme orgasmique, une chaleur, et Liam dedans. J’avais déjà eu des fantasmes érotiques avant, mais ils concernaient toujours des filles, jamais des garçons.
Le lendemain, j’étais ailleurs, je n’arrivais pas à comprendre, du haut de mes huit ans et demi, ce qui venait de se passer.

Par la suite, le phénomène ne sembla pas se reproduire, et j’entamais innocemment mes deux dernières années d’école primaire, qui furent on ne peut plus normales. J’avais même, durant ces deux années, le béguin pour une des filles de ma classe, ce qui ne pouvait que me rassurer, même si je ne m’inquiétais pas, ignorant alors tout de ce qu’était l’orientation sexuelle (je parlerais d’ailleurs plus d’orientation sentimentale, parce que la bisexualité et l’homosexualité, ce n’est pas seulement des pulsions sexuelles, c’est aussi être capable d’aimer).

Le passage au collège marqua une profonde rupture, mes amis de l’école primaire disparurent , et je me retrouvai, seul, dans un bâtiment hébergeant 1500 élèves, bien loin de l’école primaire de cinq classes que j’avais l’habitude de fréquenter. La sixième fut alors une année très difficile pour moi : n’ayant pas l’habitude d’être « à la mode » et étant premier de la classe, je fus très rapidement rejeté par les autres élèves. À chaque fois que je levais le doigt en classe, c’était pour récolter du mépris  — on se mit à dire que c’était pour rabaisser les autres et montrer à tous que j’étais meilleur qu’eux. Pourtant, si je levais le doigt, c’était juste parce que je voulais faire avancer la classe, qu’on puisse accéder plus vite aux connaissances suivantes. Je n’avais hélas pas encore compris que le rapport ludique au savoir n’est pas quelque chose de très répandu… Seul et rejeté, je me réfugiais dans la lecture pendant la récréation, et chaque soir, en rentrant, je pleurais, étendu sur mon lit. Je n’ai jamais désiré un soutien de mes parents, j’ai toujours construit ma vie seul, sans leur aide, et pourtant ils m’en auraient proposé je pense, car malgré leur absence quasi-totale, ils m’aimaient.

La cinquième fut pire encore, aux brimades s’ajoutèrent des insultes. En effet, au début d’année, le professeur de français, ayant eu ma sœur auparavant comme élève, eut la magnifique idée de me demander de lire un texte à haute voix. La lecture expressive que j’en fis eut deux effets : le sourire du professeur, et la grimace de la classe. Presque immédiatement, on se mit à me traiter de « pédé », de « tafiole », j’en passe et des meilleures. Et le pire, c’est que je me disais : « ils ont raison », parce que c’est cette année-là que je commençais vraiment à me rendre compte que j’étais attiré par les garçons. La quatrième et la troisième furent deux autres mauvaises années, aux insultes s’ajoutèrent les rumeurs, et en troisième, plus aucune fille ne me regardait, me considérant définitivement comme homosexuel. À l’époque, j’ignorais l’existence de la bisexualité, et être attiré par les garçons pour moi, ça signifiait nécessairement être gay. Non pas que je n’étais pas attiré par les filles, mais je ne m’en rendais plus vraiment compte. Avec toutes ces histoires, je pensais n’être attiré que par les garçons. Petit à petit, cette attirance pour le sexe masculin s’est imposée en moi, je me suis accepté en tant que gay, et je ne culpabilisais plus de fantasmer sur des garçons, même si je continuais de nier mon attirance pour les garçons en public. Mes parents ne savaient rien de ce qu’il se passait au collège, l’ignorance mutuelle a toujours prévalu.

Et puis est arrivé le lycée, troublant, non pas que la seconde fut meilleure pour moi au niveau social, mais quelque chose bouleversa ma vie. Ma classe, malheureusement, était restée quasiment la même que l’année précédente, et je tenais pour acquis que tous les hétéros étaient homophobes. Or, donc, cette année-là, il y avait cette fille, une nouvelle. Et cette fille, je ressentais une attirance très forte pour elle, non pas qu’elle fut particulièrement plus jolie que les autres, ou qu’elle fut un garçon manqué, mais son sourire m’envoutait, au point presque d’en tomber amoureux. Il a fallu ça pour me rendre compte que j’étais aussi attiré par les filles. Et là, d’un coup, ce fut le tremblement de terre dans ma tête, tout était sens dessus-dessous, je ne comprenais plus rien ! J’étais gay ou pas ? C’était pas possible, c’était pas vraiment une fille, ou alors j’étais hétéro, mais non puisque j’étais gay, aaaaaaahhhhhhh mais c’est quoi ce qui m’arrive ?????? Pendant cette période-là, je me posais plus de questions que les six années précédentes, et j’en finissais par pleurer sans discontinuer, le soir, à ne pas comprendre ce qui m’arrivait.

En quête de réponses, je me mis à faire des recherches sur internet, et je fis connaissance avec le terme « bisexualité ». S’accepter en tant que bisexuel fut aussi dur que de s’accepter en tant que gay, et je me maudissais d’avoir à subir ça une deuxième fois. Peu à peu, je regardais à nouveau les filles, et je me rendis compte que je les trouvais aussi attirantes que les garçons.

La première fut une libération : les classes éclatées par l’orientation entre S, ES et L, et une nouvelle classe sans préjugés sur moi, et ne pratiquant pas le délit de « tête d’intello ». Rapidement, je me fis des amis, et pour la première fois depuis longtemps, j’étais heureux de me lever le matin. Plus épanoui, je repris confiance en moi et m’acceptai définitivement comme je suis : bisexuel. Tout devenait plus simple, j’étais en phase avec mes émotions, et surtout je les comprenais.

En cours d’année, l’un de mes nouveaux amis me confia qu’il était gay, ce fut une énorme surprise pour moi : je n’étais pas seul à être « différent ». Quelques jours après, je lui dis que j’étais bi, et un monde nouveau s’offrit à moi. Bien plus « assumé » que moi, il me révéla que d’autres personnes dans le lycée étaient gays, lesbiennes, etc… Ce fut une délivrance, savoir enfin que l’on est pas seul (non pas que je ne savais pas que d’autres personnes étaient plus ou moins comme moi, mais entre ce que je lisais sur internet, et ce que je vivais au quotidien, il y avait non pas un fossé, mais un gouffre).

Après m’être confié auprès de cet ami, j’effectuai mon coming out auprès de quelques autres de confiance (principalement des filles), ce fut un intense moment de bonheur, car aucun(e) ne me rejeta. Ces réactions, si différentes de celles auxquelles je m’attendais, me plongèrent dans une profonde joie.

Rassuré et confiant en moi-même, je décidai alors d’aller voir une des connaissances « gays » de mon ami, qui me plaisait beaucoup, afin de lui révéler ma bisexualité. Lorsque je lui confiai mon orientation sexuelle, il fit une mine horrifiée : j’allais bientôt découvrir la biphobie… Face à mes avances, tous les clichés y passèrent : les bi sont instables, c’est que je suis gay mais je m’assume pas, je pourrai pas être fidèle parce qu’il faudra que j’ai ma « dose » de fille, etc… Cette réaction fut encore plus dure à avaler que toutes les insultes homophobes que j’avais pu recevoir, j’étais dépité, au niveau -36, et surtout j’avais du mal à comprendre.

Néanmoins, cette fois-ci, je ne tardai pas à me renseigner, et j’eus les réponses aux questions que je me posais beaucoup plus rapidement.

Depuis, j’ai eu deux petites amies et un petit ami, et je me suis investi avec force dans chacune de ces relations, juste pour prouver que je n’étais ni instable ni quoi que ce soit d’autre. Il y a quelques jours, j’ai fait mon coming out auprès de ma sœur, celle avec qui je le sentais le mieux pour commencer dans la famille, elle a bien réagi. Malgré cela, j’hésite à le faire avec mes parents, ils sont tolérants, mais du genre « Le mariage gay ? Bien sûr ! Tant que ça n’est pas dans la famille ».

Alors une fois de plus je me pose des questions, je me demande si c’est vraiment nécessaire de leur dire, ils ne se sont jamais vraiment intéressés à moi (et je dois dire que ça m’a tout à fait convenu), et après tout, ça me concerne.

En fait, je me rends compte que si je vois encore la pierre blanche, c’est que je n’en suis peut-être encore qu’au tout début du chemin…

Témoignage reçu en juillet 2012

Le commentaire de C'est comme ça

Le témoignage de Dan dit beaucoup de choses, dont l'une nous semble assez rare dans les histoires que nous recevons et mérite d'être relevée : l'homophobie se mélange souvent avec d'autres formes de rejet de la différence (racisme, sexisme, et tant d'autres). Dans son cas, on pourrait dire qu'il a longtemps subi de l'intellophobie, une forme de discrimination particulièrement répandue et souvent douloureuse pour qui la subit. Quand on est à la fois par exemple gay et de forte corpulence, lesbienne et intellote, trans et avec les oreilles décollées, etc., c'est souvent la double peine, en particulier à l'adolescence, âge cruel. C'est pourquoi il nous semble particulièrement important que chacun lutte contre toutes les formes de rejet de la différence, et pas seulement celles qui concernent les personnes LGBT.
Cela amène à un second point : la biphobie chez certains gays et lesbiennes, que Dan a dû affronter. Nous recevons régulièrement des témoignages dans ce sens, même si ça se voit davantage chez les personnes installées dans la vie que dans les années où l'on se découvre. Il s'agit à notre avis d'une forme d'ignorance : c'est quand on a une image abstraite des bisexuel-le-s qu'on peut imaginer qu'ils ont besoin en même temps de partenaires des deux sexes, et autres clichés. Dan en a subi quelques-uns qui l'ont "dépité", de la part d'un garçon gay. Là encore la conviction de C'est comme ça est qu'il est important de tirer de la discrimination que nous subissons une leçon sur la nécessité de ne pas faire de discrimination à notre tour.

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.