Bonjour,
J’ai 18 ans et suis scolarisé dans un lycée privé catholique. En toute sincérité, je suis heureux de quitter cet établissement à la fin de mon année de classe de terminale littéraire.
Heureux, parce que je ne vais plus devoir endurer les regards réprobateurs de la sous-directrice, adjointe au Catéchisme, à qui, après une sorte d’interrogatoire, j’avais avoué mes sentiments “contre-nature” — “sodomite” ; femme qui m’a immédiatement orienté vers un diacre “homo” qui se targuait d’avoir trouvé la Sainte-Rédemption dans le service de Dieu. Ce gentil diacre avait même écrit un livre, au titre révélateur De l’ombre à la lumière. Après deux rencontres, j’avais compris son but. Je ne voulais pas être soigné, mais seulement être compris. En seconde j’étais vraiment au plus bas et je connaissais en même temps les premiers moments de liberté, et petit à petit pendant les fêtes puis seul je me suis mis à boire et à me droguer. L’infirmière scolaire l’a vite compris et m’a envoyé vers la responsable du catéchisme pour comprendre mon mal-être et m’aider. L’autre n’entendait pas ça comme ça. Et à coup de longues rencontres où je devais raconter ma vie, j’ai fini par avouer ce qu’elle savait et ce qu’elle voulait que je dise. L’électrochoc de ces rencontres avec elles puis avec le diacre m’a enfoncé un peu plus, car je m’avouais enfin mon anormalité. À l’époque toute parole provenant d’un adulte, et en plus d’un homme d’église, était pour moi, la vérité absolue. Aujourd’hui je ne vais plus au catéchisme, et ai dit à la responsable que ces deux rencontres m’avaient bouleversé et m’avaient aidé à comprendre mes erreurs; elle était satisfaite, je n’en voulais pas plus. Maintenant, je vis dans la peur permanente qu’elle dise quelque chose, en sachant que “pour mon bien” elle est allée le répéter à l’infirmière, au CPE, au professeur principal et bizarrement à la cantinière!
Heureux parce que je ne vais plus devoir sourire bêtement, aux blagues de mauvais goût, aux surnoms qui allient si bien mes origines et mes « manières » de pédé. Vous répondez quoi, quand quelqu’un vous dit très calmement, l’air de rien, à table devant tout le monde : “Franchement, on aurait dû tous les gazer, non ? T’en penses quoi toi ?”. Vous répondez quoi, quand un pote vous dit “Putain regarde-les ces deux là, ils ont pas honte d’être nés ?” en pointant du doigt deux mecs efféminés. Je réponds plus, je ne veux plus répondre. Dans ma tête je me crie, je leur crie toute la haine qui est en moi, envers les homophobes. Depuis que je suis né, je suis dans un milieu où ce que je suis est considéré comme la pire des hontes. Petit, j’arrivais pas à comprendre pourquoi ça m’avait touché moi; combien de cierges j’ai allumé pour que “ça parte” ! Mais rien n’a changé; après oui je déteste ce que je suis quand j’écoute mon éducation, ma famille, mes amis, car je ne veux pas être ce “truc” qu’ils insultent tout le temps. C’est une partie de ping-pong dans ma tête, entre honte et acceptation. C’est difficilement explicable…. C’est comme si, par exemple, un père très raciste avait un fils qui en grandissant devenait noir, il aime son fils tout en insultant, haïssant, frappant, ce qu’il est en train de devenir. Pour moi c’est pareil, ma famille m’aime tant que je reste ce qu’ils ont fait de moi, le jour où je deviendrai « noir » je ne sais pas comment ça va se passer. Je vais bientôt quitter mon entourage pour aller étudier ailleurs, donc enfin soulagé oui. Quitter cet univers va me libérer je pense.
Heureux parce que je ne vais plus devoir être complice de cette homophobie ordinaire. Je l’assume, j’ai défilé sous les bannières de la Manif pour tous, comme pour me faire un “certificat” de bonne hétérosexualité. Je l’assume, j’ai applaudi aux prêches du prêtre de ma paroisse catholique traditionaliste, qui, sous la dictée de Civitas, nous montrait en quoi les gens comme moi, étaient bons à brûler. Mais je ne sais pas comment j’ai fait. Mon milieu familial est très propice à ce genre de dérapage, mais moi, au fond j’ai compris que je me hais, que je hais ce que je suis. Chez moi je joue un rôle, je sors avec des filles, je suis premier de ma classe, pratiquant, militant « Manif pour Tous », grand admirateur des Le Pen, et l’autre moi, seul loin de tout, qui traine dans des lieux pas très reluisants, qui s’amuse et qui fuit tout le temps. J’aime cette liberté que je prends, j’aime aussi me sentir désiré. C’est stupide mais bon… C’est pour ça que je pars étudier loin de ma ville. Pour tourner la page. L’homophobie tue, pas moi, mais elle m’a sacrément blessé.
Continuez votre combat. Sachez que beaucoup de jeunes de familles ultra-cathos sont comme moi. Que derrière des actes homophobes, il y a parfois des gens comme moi, qui sont allés trop loin dans le rejet de leur être. Il ne faut pas les excuser bien sûr, mais pour avoir fréquenté ce milieu homophobe-fasciste, ce n’est que la haine sourde et la connerie humaine qui les animent.
Essayez de tout faire pour briser ces mouvements qui entretiennent les gens dans la haine des autres. Moi j’y suis lié par ma famille, très religieuse, très vieille France, c’est un quotidien, des idées du moyen-âge. Il faut faire honneur à notre nom, nos ancêtres, tant pis pour le bonheur tant que la tapisserie tient debout. Dans mon établissement, j’ai senti ça aussi. Ils n’ont pas cherché à me comprendre, ils m’ont juste balancé devant un vieux diacre refoulé qui a essayé très gentiment de me faire comprendre que c’est mal si je vis mes pulsions, et que je trouverais le Pardon en servant son Dieu.
Pour finir, ce qui m’a le plus aidé à ne pas penser comme eux, c’est ma passion de la littérature, de l’art et surtout de la musique classique. Pour moi, c’était salvateur, car ça m’a permis comme pour mes escapades nocturnes de m’évader loin de tout.
Témoignage reçu en avril 2013
Le commentaire de C'est comme ça
Le témoignage de Gaëtan* est bouleversant, et certain-e-s parmi vous pourraient penser qu'il est hors du commun. Pourtant, à C'est comme ça et sur la ligne d'écoute de SOS homophobie, nous avons accompagné durant l'année 2013 plusieurs jeunes qui subissaient diverses sortes de discrimination dans des établissements à caractère religieux. Ce qu'il y a de particulier dans leurs histoires est que, loin de recevoir un soutien moral des adultes dont ils attendaient de l'aide, ils ont été rendus responsables de ce qui leur arrivait. Le climat lors des débats sur le mariage et l'adoption a été particulièrement difficile et ils ont pu se sentir les boucs-émissaires d'une mauvaise humeur politique.
Il ne s'agit bien entendu pas de dire que tel fut forcément le cas dans tous les lycées privés ou que ça n'arrive pas dans des établissements publics. Mais il semble que les directives du ministère de l'Éducation nationale pour lutter contre l'homophobie ne sont pas prises au sérieux partout. Pour autant, il n'y a pas de fatalité à ces injustices, mais ne pas se résigner demande du temps — pour raconter et pour réfléchir à des solutions au cas par cas. N'hésitez pas à nous écrire si vous avez vécu des problèmes de ce genre.
Nous accompagnons Gaëtan depuis avril 2013. C'est un jeune homme plein de vie, d'humour, de colère et de courage. Aujourd'hui, il découvre peu à peu la liberté et nous formons le vœu qu'il puisse prendre son envol, non plus seulement pour "s'évader" dans sa tête mais surtout pour trouver le bonheur et l'équilibre.
* le prénom a été modifié
Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.