Tout d’abord, il faut savoir que je suis handicapée et ai dû subir plusieurs opérations dans mon enfance. Je ne peux pas écrire (dysgraphie) et suis obligée d’utiliser un ordinateur. Par ailleurs, j’ai du mal à maîtriser mes émotions ou à « bien me tenir en société » (laisser la parole aux gens, etc.). J’attends une réponse d’une association sur l’Asperger pour savoir si je suis concernée ou non par ce syndrome (et je vous avoue que je suis très angoissée sur ce point). Pourquoi cette intro ? Car mon rapport à la sexualité est plus ou moins lié à cela. Lorsque j’avais 9 ans environ, je suis tombée sur un film pornographique (en tapant petit cochon sur Google image pour trouver des images de Babe). C’était tellement dégradant et humiliant pour la femme que j’avais décidé de ne jamais avoir de relations sexuelles. Et puis suite aux soins que j’ai reçus à l’hôpital, j’ai en quelque sorte développé une phobie de l’atteinte au corps : encore aujourd’hui, je ne peux tout simplement pas regarder des films ou lire des livres dans lesquels l’acte sexuel est cru ou violent (et ne parlons pas des blagues de fesses qui me mettent plus mal à l’aise qu’autre chose) .
Au collège, les hormones aidant, mes « copines » faisaient des blagues et des histoires « douteuses » à base de strip-teaseuses. J’essayais tant bien que mal de rentrer dans leur délire pour me faire accepter, alors que j’étais plutôt du genre à rougir à l’évocation du moindre mot olé-olé. Je lisais les mêmes magazines people qu’elles dans l’espoir d’être l’une des leurs (alors que j’aime plutôt les Spirou et autres BD), mais ça m’ennuyait profondément et je ne trouvais aucun supposé « beau-gosse » sexy (je pensais déjà que quelque chose clochait à ce niveau !). Les cours d’éducation sexuelle me traumatisaient : “on peut avoir le sida et autres maladies sympathiques ? Youhou, encore une raison pour ne pas coucher !”. Bref, je n’étais pas du tout sur la même longueur d’onde que les autres.
Au lycée, où j’ai eu mon premier « amour », quelque chose a légèrement changé. Je suis tombée follement fan du cinéma de Tim Burton (en particulier Edward aux mains d’argent qui reste mon film préféré à ce jour) et de tout ce qu’il contenait : « monstres » incompris, décors gothiques, humour noir, personnages bizarres, attachants et en marge des gens « normaux ». C’est à cette époque que je suis tombée amoureuse d’un garçon dont j’avais une vision totalement fantasmée. Il était autiste sévère et marchait en rond dans la cour, parfois en souriant. Je m’étais mis dans le crâne qu’il voyait des fantômes ou des fées ! En grandissant, j’ai pris conscience que j’en avais fait une muse, mais c’était un coup de foudre quand même !
C’est aussi à cette période que j’ai eu des couples modèles et des fantasmes amoureux (de préférence bien torturés). Il faut savoir que c’était un lycée professionnel qui ne m’intéressait guère (j’aurais aimé aller en filière littéraire) mais que mes profs de collège avaient conseillé à mes parents. Les professeurs ne comprenaient rien à ma situation ou à mon handicap, et j’avais toutes les peines du monde à trouver de nouveaux amis. Il ne me restait que ce garçon dont je vous ai parlé, mes passions pour Burton et la littérature anglaise (que je dévorais à l’époque) et mes rêveries pour seuls compagnons. Je me souviens particulièrement du jour où je lisais Jane Eyre en fantasmant sur le couple principal… jusqu’au moment où un charmant garçon me détache de ma lecture pour me demander »si je voulais faire des trucs avec lui ce soir », avec sa bande de potes se bidonnant derrière lui. Si le moi de maintenant aurait été capable de lancer « ya pas marqué ‘distributeur de culs’ ici ! », le moi de 16 ans s’est contenté de ne rien dire, pantoise devant tant d’élégance. Quel casseur d’ambiance…
À cette passion pour le cinéma Burtonien s’ajoutait ma découverte du groupe Dionysos et des livres de son leader, Mathias Malzieu. J’ai lu La mécanique du cœur (en pleurant à moitié), et j’ai fait une trouvaille sensationnelle : oui, on pouvait mettre en scène des scènes de sexe douces, tendres et même rigolotes, sans une once de trash bas de plafond !
J’ai sauté tout le lycée et ai passé trois ans à avoir des cours à la maison. MIRACLE, j’ai ironiquement commencé à avoir une vie amicale : ma meilleure amie était une libraire pour enfants, les autres des coiffeurs, vendeurs de cartes postales, une étudiante à Science Po, et même très brièvement un monsieur coréen qui peignait des prénoms à l’aquarelle dans les rues. Sans oublier C., jeune libraire pour qui j’avais (et j’ai toujours) bien plus que des sentiments amicaux, mais vu qu’il est plus vieux… Ensuite, tout s’est accéléré : je suis entrée en DAEU pour avoir mon diplôme du bac et l’ai obtenu l’année dernière. Celle-ci a été une année très importante : mes goûts en cinéma se sont élargis et, si j’aime toujours autant les univers étranges, je me détache peu à peu de Burton pour trouver des ambiances similaires, mais plus colorées. C’est ainsi que Wes Anderson devient l’un de mes héros et Amélie Poulain me montre une seconde fois que sexe ne rime pas forcément avec “gore”. C’est d’ailleurs devenu mon troisième film favori derrière Edward aux mains d’argent et Moonrise Kingdom.
Mais c’est à ce moment-là que j’ai commencé à me poser des questions importantes concernant mes préférences sexuelles et amoureuses : j’admire beaucoup d’hommes, mais plus pour leur originalité, créativité, taux de folie douce, plutôt que leur physique. Ce sont pour la plupart des dessinateurs, réalisateurs, écrivains, etc. L’un des rares arrivant à m’attirer autant sur le plan artistique qu’émotionnel reste le David Bowie des années 70 (snif !).
Tandis que les femmes, c’est… une toute autre histoire ! Je craque totalement pour les petits minois et je ne compte pas le nombre d’actrices avec qui j’aimerais avoir une relation amoureuse. La liste est longue : Audrey Hepburn, Winona Ryder dans Edward aux mains d’argent (qui est d’une mignonnerie absolue !), Molly Ringwald dans les teens-movies de John Hughes, Catherine Deneuve jeunette, Audrey Tautou dans le film pré-cité, Amy Adams en princesse Disney, et bien sûr, la saint trinité Kate Bush / Stevie Nicks / Björk qui sont (surprise !) des chanteuses ! Une amie plaisante en disant que j’ai « un harem », mais je définirais plus ça comme une galerie où séjournent toutes sortes de petites amies potentielles, généralement un peu fofolles ! J’ai remarqué que les critères de beauté façon années 60/70 (avec eye-liners, taches de rousseurs et petit nez de poupée) m’attirent beaucoup et c’est sans doute pour cette raison que je fantasme autant sur ce type de physique.
Cette année, je me suis informée via les vidéos de Laci Green, les différents sites LGBT+ (américains en majorité) et ai même commencé à me masturber (« shocking ! » aurait dit le moi de mes 15 ans !), sans grand effet hélas ! Je lis aussi beaucoup de yuri [mangas lesbiens] platonique et même si c’est souvent gnangnan, ça me fait une telle sensation de « barbe à papa dans l’estomac » que mon envie d’une relation amoureuse avec une fille s’est avérée plus forte que je ne l’aurais pensé au premier abord. Attention, je sais bien qu’il y a du bon et du mauvais dans tout type de relations ! Ces derniers temps, j’ai également plus de fantasmes sexuels avec des filles. Étrangement, j’ai toujours aimé les univers faussement naïfs ou qui privilégient la métaphore et la tendresse au langage cru, et mes fantasmes se sont adaptés à ça : je rêve de batailles de chatouilles, de s’écouter mutuellement le cœur au stéthoscope, de jouer à voir les battements de cils de sa partenaire avec un kaléidoscope, de se dessiner des fleurs sur les seins, de se placer des framboises sur les tétons pour ensuite les manger, et de s’embrasser le nez avant de s’endormir dans une étreinte. Tout ça sur fond de pop 60’s 100% guimauve, s’il vous plaît !
Tout va pour le mieux, donc ? Ahum, pas trop !
1. Tout d’abord, je suis handicapée, ce qui signifie pour beaucoup de gens que je n’ai pas de désir sexuel ou que j’ai supposément l’âge mental d’une enfant. Ça pourrait être pire. Par exemple, les personnes en fauteuils roulants sont souvent un objet de fantasme et vues comme une « chose trop zarbi à se taper pour se donner l’air provoc ». Je vous conseille la chaîne YouTube d’une fille queer en fauteuil qui parle souvent de ce sujet [en anglais]. Bref, j’ai peur d’attirer davantage la pitié que le véritable amour.
J’ai aussi abordé le sujet avec ma psy qui m’a clairement dit : « mais ces femmes que vous citez, vous les admirez, non? Vous n’êtes pas amoureuse d’elles ?« . Je lui ai répondu que je n’étais pas amoureuse, mais qu’elles me plaisaient plus physiquement que les hommes. Si j’étais une gamine normale de 15 ans fan de boysbands, on m’aurait peut être ri au nez, mais ça serait passé comme une lettre à la poste. Mais une jeune femme de 23 ans autiste qui trouve telle actrice proche de la retraite »super mignonne », ça pose problème…
2. Mon fantasme, sorte de mix incongru entre un délire hippie et Virgin Suicides est l’un de mes rêves ultimes, mais j’ai du mal à l’assumer car j’ai peur que mes futures copines (si j’en ai une un jour) trouvent ça niais et me délaissent au profit de choses plus hardcore (je ne juge pas, chacun ses trucs, ça n’est juste pas fait pour moi !).
3. Ma famille ! Mes parents sont ouverts d’esprit, mais ma mère a du mal à comprendre le mariage pour tou-te-s (elle est catholique non pratiquante) et me dit que j’ai été manipulée par les sites féministes que j’ai pu lire. Elle reste convaincue que je suis hétéro car j’aurais « juste peur des pénis » (« hum maman, les femmes trans en ont un aussi ! » mais je ne lui ai pas dit ça, vous pensez bien !) et du corps des hommes. S’ensuit un dialogue type « Tu sais, les pénétrations sont comme des caresses. Tu ne peux pas savoir avant d’avoir essayé« . Peut-être, mais en attendant, la simple image et l’idée me dégoûtent. « Tu peux respecter ça ? » En revanche, quand je parle de sexe entre femmes, c’est tout de suite « Ah non, c’est dégoûtant ! » avec une mine renfrognée. Enfin elle m’a clairement dit qu’elle s’en foutait tant que je suis heureuse, mon père aussi (même s’il me parle toujours de garçons…). Mes deux grands frères ? Ça va… excepté le cadet qui traite son chat peureux de « tapette » et me répond en souriant : « mais tu sais bien que je ne suis pas homophobe. C’est pour rire ! » Mouais…
4. Ma ville est très pauvre en événements LGBT et je compte me rendre à Paris pour mieux connaître le milieu. Mais mon handicap (encore lui !) me rend particulièrement vulnérable et je dois être accompagnée. J’ai déjà essayé d’aller à un café féministe, mais je n’avais personne d’autre que ma mère et ça s’est fini en flots de reproches sur le thème « Tu veux vraiment te faire dévorer par un gang de mécaniciennes aux doigts crochus ?« . J’ai l’impression qu’elle me surprotège à cause de mon handicap alors que ce type d’endroit est vital pour me découvrir.
5. Malgré toutes ces améliorations, je crains toujours un premier rapport. Cependant, j’ai l’impression que toute ces histoires ne viennent pas forcément de ma famille mais de mon manque de confiance en moi. Je fais tout mon possible pour me sentir sexy et séduisante, mais cela ne fonctionne pas. J’ai décidé cette semaine d’arrêter de me labelliser à tout prix : ça viendra quand j’aurais de l’expérience. L’essentiel, c’est que je me sente en confiance avec la personne que je rencontrerai.
Témoignage reçu en mars 2016, publié en mars 2017
Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.