Owen Pallett est un musicien canadien, né en 1979. Son père était organiste d’église et il a voulu que la musique soit très présente pour ses dix enfants. Owen a manifesté très tôt des dons pour le violon et la composition. En parallèle avec des études très classiques, il a écrit des morceaux pour des jeux vidéo ou des films dès l’adolescence, ou encore deux opéras alors qu’il était à l’université. Néanmoins sa jeunesse, pour ce que l’on en sait, n’a pas été idyllique.
En 2002, il quitte l’université de Toronto avec un bachelor degree (l’équivalent d’une licence) en composition musicale, mention « très bien ». Un peu las des rigidités du « classique », il multiplie à l’époque les expériences dans les bars et les clubs de Toronto. Assez vite, il devient une figure de la scène musicale de cette ville, assez demandé pour ses talents d’arrangeur et de compositeur. Il accompagne plusieurs groupes en tournée, dont certains assez connus. À la même époque, il crée le groupe Les Mouches avec lequel il enregistre plusieurs disques. En 2004, il réalise les arrangements de cordes du premier album du groupe Arcade Fire et les accompagne en tournée. C’est le début d’une collaboration régulière et mutuellement profitable : la notoriété internationale du groupe de Montréal a eu des effets bénéfiques pour Owen Pallet, lequel a beaucoup apporté à l’identité musicale de ses amis. Dans son premier album après Les Mouches, il leur a rendu hommage dans une chanson intitulée This Is the Dream of Win and Regine, du nom du couple formé par Win Butler et Régine Chassagne, les deux chanteurs et leaders d’Arcade Fire.
Grand amateur de jeux vidéos, Owen Pallett crée en 2005 un nouveau groupe appelé Final Fantasy, sous lequel il allait signer deux albums, Has a Good Home (2005) et He Poos Clouds (2006). Dans les faits, il s’agit plutôt d’un projet en solo, mais avec des collaborations ponctuelles. C’est sous cette appellation qu’il connaît un succès critique croissant, son deuxième album lui valant une réputation très flatteuse dans les milieux de la musique indépendante. À ce stade, sa patte musicale est devenue très reconnaissable, mélange de mélodies irrésistibles, de composition classique et d’esprit pop. He Poos Clouds est inspiré de l’univers de Donjons et Dragons, ce qui se ressent surtout dans les paroles, inspirées par un imaginaire fantastique et des idées assez bizarres (difficile de donner une interprétation claire des paroles). Écrit pour un quatuor à cordes, le disque est le plus classique dans son inspiration musicale. Certains morceaux, comme This Lamb Sells Condos (avec sa descente de célesta) ou Song Song Song (et ses cordes utilisées comme des percussions), sont de pures pépites où contrastent la nostalgie des arrangements et l’étrangeté des paroles (dont on trouve un reflet saugrenu dans les ombres chinoises du clip ci-dessous, présentes dans les concerts de l’époque). Il obtient pour ce disque le Polaris Music Prize, prix à l’égard duquel il manifeste les plus grandes réserves, attitude assez commune chez ce grand timide aux principes exigeants: la compagnie téléphonique à l’origine de ce prix avait passé des contrats avec des officines chargées de liquider les biens d’Américains surendettés, ce qu’il n’a pas voulu cautionner.
À partir de ce premier succès d’estime, Owen Pallett est de plus en plus recherché comme musicien, arrangeur et compositeur. Il collabore notamment avec Zach Condon de Beirut (il signe les arrangements de cordes de son deuxième album, The Flying Club Cup), avec Grizzly Bear (il devient très ami avec le chanteur de ce groupe, Ed Droste), et avec l’ensemble de la scène pop-rock indépendante. Il a ainsi travaillé plus tard avec The National, Alex Turner (Arctic Monkeys, Last Shadow Puppets), R.E.M. ou Caribou. Il est aussi sollicité par des vedettes davantage mainstream et commerciales, comme Mika, Taylor Swift ou Robbie Williams, preuve de sa réputation d’arrangeur. De plus en plus recherché pour réaliser des musiques de film, il a notamment réalisé avec Wil Butler (le frère du leader d’Arcade Fire) la bande originale du film Her de Spike Jonze, pour laquelle ils ont été nominés aux oscars. Mais sa plus grande fidélité, il l’a toujours réservée pour ses amis d’Arcade Fire, au point de suspendre la réalisation d’un album pour les accompagner dans la tournée de promotion de leur quatrième album, Reflektor.
Les années 2006-2008 ont été extrêmement fécondes pour cet artiste prolifique, ouvert à de nombreuses expériences. C’est aussi le moment où il a multiplié les tournées dans le monde, inventant un style très personnel, au départ inspiré par le manque de moyens : faute de musicien-ne-s pour l’accompagner, il a pris l’habitude d’utiliser un système de sample (loop) qui lui permet de se démultiplier sur scène ; il joue une première séquence au violon ou aux claviers, sur laquelle il en ajoute d’autres en couches successives, avant d’y poser sa voix. Il n’est pas le seul à utiliser le procédé, d’autres (comme Andrew Bird, autre violoniste pop) s’en servent, mais ce n’est pas pour eux un principe de composition systématique comme ça l’est pour Owen Pallett. Ses prestations sur scène, impeccables et peu coûteuses, sont devenues très recherchées. Outre son répertoire personnel, son public apprécie sa passion éclectique pour la pop music, qui lui fait reprendre aussi bien des musicien-ne-s très pointu-e-s que des divas comme Mariah Carey (en lien sa version très personnelle de la chanson Fantasy de cette dernière et ci-dessous une reprise de Bloc Party). Dans les interviews qu’il donne de temps en temps, on peut aussi découvrir la grande diversité de ses intérêts musicaux. Cette passion l’a amené à devenir critique musical pour le magazine en ligne Slate. Car, avant tout, Owen Pallett est un pur musicien, capable de passer sa vie à écrire et à jouer.
Durant les années 2006-2008, les propriétaires de la licence du jeu vidéo Final Fantasy ont commencé à voir d’un mauvais œil le succès croissant de cet étrange artiste indépendant, qui peu à peu grignotait la notoriété de leur licence. Ils ont fait pression sur lui pour qu’il renonce à ce nom d’emprunt. C’est donc en tant qu’Owen Pallett qu’il a décidé de se produire désormais. Après quelques EP aux ambiances très diverses, il signe en 2010 sous son nom ce qui est sans doute son disque le plus majestueux, Heartland. Ce dernier raconte l’amour du dieu Owen (!) pour sa créature Lewis, dans un monde onirique et (encore un peu) délirant, mais non dénué de malice (comme en témoigne le clip ci-dessous). La musique est un alliage gracieux de musique symphonique et de pop. Il a fallu quatre ans pour que sorte l’album suivant, In Conflict (2014), dans lequel il se renouvelle fortement, dans la musique comme dans l’inspiration. Rejoint par ses deux anciens bandmates des Mouches, l’album fait la part belle aux synthétiseurs et aux percussions, dans un format moins classique, plus pop-rock (voir la dernière vidéo de la page). C’est aussi un disque dans lequel il se livre plus directement, sans les détours de la fiction et de paroles étranges, même s’il ne faut pas non plus en attendre des propos transparents.
D’une nature pudique, Owen Pallet n’aime pas faire étalage de lui-même de manière simple. S’il est un sujet sur lequel il a été relativement clair depuis le milieu des années 2000, c’est bien l’homosexualité — ou la bisexualité, car il a eu des histoires avec des femmes et ne s’interdit rien, même s’il se dit facilement « gay ». C’est un thème relativement apparent dans He Poos Clouds et dans les interviews données à l’époque. En particulier, il n’a pas hésité à apparaître en tête d’affiche dans le magazine gay néerlandaisButt, interviewé par son ami Ed Droste, autre figure de la scène musicale indie-pop et gay. Owen Pallett y tient une position assez subtile et parfois dérangeante. Il y raconte ses premières expériences, homo et hétéro, sa relation avec son compagnon et manager Patrick Borjal. Il y dit aussi ses réticences devant la « culture gay » (mais aussi « blanche » ou « canadienne« ). Ailleurs, il a aussi exprimé sa répugnance à être sans cesse ramené à ce statut de musicien gay, qu’il assume, mais qui ne dit pas tout de lui, en particulier en tant qu’artiste. Il a longtemps refusé l’idée de chanson militante, ainsi dans cette interview de 2005 :
On a peut-être besoin d’un art qui parle d’identité sexuelle, mais ce n’est pas d’après moi ce sur quoi sont concentrés les artistes gays à succès. Par exemple, Rufus Wainwright n’est pas un artiste gay. Bon, sa chanson Gay Messiah est une sorte de manifeste. Il ne veut pas que les gens soient déçus parce que sa musique ne serait pas assez gay ou assez politique.
Sa position s’est un peu modifiée en 2010 lorsqu’a été médiatisé le suicide d’un jeune violoniste, Tyler Clementi. Ce dernier avait été sauvagement outé sur internet, où sa vie sexuelle avait été étalée par un colocataire peu scrupuleux. Cette histoire a profondément choqué Owen Pallett, qui s’est reconnu dans ce jeune homme, lui rappelant la violente crise qu’il avait connue à l’âge de 19 ans. Il en a tiré la chanson The Secret Seven, présente sur In Conflict, où il critique à sa manière (détournée) l’idée que la campagne It Gets better pourrait sauver des vies, car trop impersonnelle. Il donne d’ailleurs son numéro de téléphone à la fin, prêt à répondre à tout-e jeune en détresse.
Owen Pallett, par ses choix artistiques et ses curiosités, n’est sans doute pas destiné à devenir une pop star planétaire. Néanmoins, sa réputation n’est plus un secret d’initié. Il n’est pas très connu du grand public, qui ignore souvent qu’il a composé la musique utilisée dans certaines pubs très diffusées ou dans des films populaires. C’est néanmoins un musicien très accessible et un artiste de premier plan. Nous espérons que ce portrait vous donnera envie de le découvrir davantage. Pour les curieux, le fansite Alpentine (en anglais) est une mine.