Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle David Gilson [prononcé Gil-Sonne mais Gil-son ça marche aussi], j’ai eu 42 ans il n’y a pas très longtemps, je suis un petit Vierge [rires]. Je suis dessinateur, je dessine depuis toujours et je suis gaucher ; je dis ça parce que ça interpelle les gens quand je dessine. Je voulais faire une BD avant mes 40 ans et en voyant l’horloge tourner, je me disais qu’il fallait que je réalise ce projet… Et ça a été tout juste puisque le tome 1 de Bichon, “Magie d’amour” est sorti l’année de mes 40 ans !
Quelle est l’origine de Bichon ? As-tu écrit la BD que tu aurais voulu lire étant petit ?
Oui, je crois que oui. Enfant, je lisais les Schtroumpfs,Gaston Lagaffe, les BD de Gotlib, et surtout Boule et Bill:j’aimais la tendresse qui s’en dégageait avec la famille, les animaux et les ami-e-s du héros… J’aimais aussi les dessins de Lucky Luke ou de Tintin mais je ne me retrouvais pas en eux. Je pense que j’aurais aimé Bichon, les couleurs m’auraient attiré.
Comment as-tu aussi bien cerné l’univers des pink boys ?
A vrai dire, j’ai découvert ce terme sur votre site. Jusque-là ma seule référence était le film avec Michèle Laroque, Ma vie en rose. Le premier tome de Bichon, je l’ai fait comme ça, sans réaliser l’impact qu’il pourrait avoir. Le hasard a fait qu’il est sorti au moment des polémiques sur la “théorie du genre”.
Je suis surtout parti de mon expérience personnelle. Certaines pages sont des anecdotes de ma propre enfance, même si elles sont romancées, détournées, et dans le fond je ne savais même pas si j’étais un pink boy ou pas. C’est après que je me suis rendu compte que d’autres personnes avaient vécu les mêmes choses que moi. Cela dit, Bichon ce n’est pas que moi, maintenant il commence à vivre sa vie, c’est assez étrange, il devient de plus en plus indépendant, il a sa propre identité.
As-tu eu des réactions négatives à sa sortie en 2013, qui était l’année du débat sur le mariage pour tous·tes ?
La sortie du premier tome a été assez discrète, mais j’ai été soutenu par les libraires et les bibliothécaires. Àma connaissance, personne n’a écrit à Glénat pour se plaindre. Il y a juste eu un article qui a été repris sur des sites intégristes, avec comme titre “Bichon : la BD qui prépare les enfants à l’homosexualité et à la théorie du genre”. Titeuf étant aussi publié chez Glénat, ils ont fait un raccourci en imaginant l’expo du Zizi sexuel transposée sur le thème des transgenres. Mais les commentaires qui se déchaînaient ensuite étaient à propos de la “théorie du genre”, pas de ma BD qui n’avait pas été lue de toute évidence. Une fois, un employé du rayon librairie d’une très grande enseigne culturelle m’a contacté pour dire que cette BD nuisait aux enfants et qu’il la classait dans les BD érotiques adultes. Mon éditeur a réglé le problème. Mais mis à part ça, je n’ai pas eu de problème.
On t’avait contacté pour un sujet original, quelle a été la réaction quand tu as présenté Bichon ?
J’ai été repéré par l’éditeur de Tchô qui avait aimé mon style et les anecdotes personnelles que je partageais sur mon blog. Il m’a demandé si j’étais intéressé par un projet de BD. Il m’a conseillé de faire trois planches pour voir ce que ça pouvait donner. C’était le coup de pouce que j’attendais et en même temps j’ai soudain eu peur de devoir trop me dévoiler. J’ai été en panne d’inspiration pendant une semaine et d’un seul coup j’ai eu un déclic et j’ai créé des planches qui résumaient l’essentiel de l’univers de Bichon (famille, ami-e-s, ennemis, école) tout en m’adaptant à la ligne éditoriale de Tchô. Ce sont d’ailleurs les pages 8 à 10 de “Magie d’amour“. Cela a plu à l’éditeur qui m’a demandé de signer pour un premier album. En parallèle certaines planches étaient pré-publiées dans le magazine Tchô pour installer le personnage.
Pour quel public as-tu écrit Bichon ?
Je n’ai pas cherché à viser un public en particulier mais je veux que Bichon soit une BD pour tou-te-s, sans distinction d’orientation sexuelle, identité de genre et/ou d’âge. Je ne veux pas que ce soit une BD clivante, ni qu’elle soit marquée comme “gay” car rien ne dit que Bichon soit homosexuel plus tard.
Sais-tu aujourd’hui quel public le lit ?
En l’écrivant, je n’imaginais rien. Je me disais que si ça touchait déjà une personne, ce serait bien. Une partie de mon public vient de l’activité de graphiste pour Disney que je partage sur mon blog et est donc surtout composée de jeunes filles et de jeunes femmes qui sont intéressées par Princesse Ploum, mais j’ai aussi un public clairement gay plus friand des personnages comme l’oncle de Bichon. C’est lors des dédicaces que je me rends plus compte des gens qui me lisent et ça dépend beaucoup des lieux et des villes. Lorsqu’il y a des enfants, c’est une majorité de petites filles. Parfois les gens ne connaissent pas la BD, je la leur présente et dans la plupart des cas, je m’aperçois qu’ils n’avaient pas réalisé que Bichon est un petit garçon à cause des couleurs très acidulées de la couverture. Lorsque je le leur explique, il y a un léger flottement, mais ça se passe bien.
Avais-tu l’espoir que cela sensibilise aussi des parents ?
J’ai reçu parfois des messages de mères qui me disaient qu’elles avaient un petit Bichon et qu’elles admirent sa maman. Certaines lisaient même Bichon à leurs enfants dès quatre, cinq ans. Ça me fait plaisir même si je ne l’ai pas écrit comme une œuvre militante. Je suis heureux qu’elle soit utile, ne serait-ce qu’à un ou deux enfants.
Nous avons remarqué que Jean-Marc avait toujours les yeux fermés. Peux-tu nous dire pourquoi ?
C’est un style inspiré de certains mangas (en particulier un personnage de Sakura chasseuse de cartes). C’est plus un code graphique qu’autre chose, mais ça lui donne aussi un côté assez mystérieux, c’est un personnage dont on ne sait pas bien ce qu’il pense même s’il est bienveillant. Le papa c’est pareil, on ne voit pas ses yeux derrière ses lunettes, probablement parce qu’il est assez effacé, moins expansif sur le sujet des sentiments que la maman en tout cas.
Est-ce inspiré de ta propre famille ?
Pour certains éléments, mais sans plus. Ceci étant dit, mes nièces sont indirectement présentes dans Bichon puisque son prénom, Sacha, est la contraction de leurs deux prénoms. Ce sont elles aussi qui m’ont soufflé l’idée pour le prénom de la petite soeur qu’on découvre dans le tome 2… Pour les camarades de classe, la plupart sont inspiré-e-s de personnes que j’ai connues, mais elles ne le savent pas. Hé oui, j’ai eu “mon” Jean-Marc quand j’étais petit, il était dans ma classe et se montrait très protecteur, très tendre comme celui de Bichon mais physiquement il ne ressemblait pas vraiment au personnage. En fait, je lui ai donné le physique de mon mari !
Le tome 2, “Sea, sweet and sun” sort le 14 octobre, peux-tu nous livrer une information inédite sur la suite des aventures de Bichon ?
Le tome 2 se passe pendant les vacances d’été avec une petite mésaventure qui ralentit le départ de Bichon et sa famille en vacances en Normandie. Cela fait écho à une anecdote personnelle : l’été de mes neuf ans, je me suis blessé à l’œil et même si ce n’était pas de la même manière et que je n’ai pas porté de bandeau de pirate, ça donnait un bon début.
Bichon va rencontrer Cody, un petit garçon américain qui porte les vêtements de sa maman en secret, et découvrir qu’il y a des petits garçons bien plus efféminés que lui. Ça relativise sa propre différence, et il va se rendre compte que lui-même n’est peut-être pas si tolérant que ça…
Et la suite ?
Contrairement à un personnage comme Boule de Boule et Bill, je n’ai pas envie que Bichon reste figé à un certain âge. J’ai envie de le faire grandir. Il y aura a priori quatre tomes à l’école primaire. Dans le troisième tome qui s’appellera “L’année des secrets”, il découvre que ses camarades aussi ont des secrets, plus ou moins légers, qu’ils-elles cherchent à cacher. La suite se déroulera en classe de neige, ce qui viendra clore l’école primaire. Je passerai ensuite au collège, ça me semble important, car c’est là que tout se fait et qu’on se crée une identité. C’est à partir de ce moment que Bichon va prendre plus de distance avec ma propre histoire. Je vais me servir de mes expériences du lycée et de mon service militaire pour le collège, parce que je ne peux pas transposer mon vécu, qui serait trop éloigné de celui des jeunes d’aujourd’hui. Comme je peux le voir avec ma plus grande nièce, les enfants grandissent beaucoup plus vite. L’idée est qu’au collège Bichon se réfugie dans l’univers de Princesse Ploum. Je ne sais pas encore combien il y aura de tomes au total.
Il y a un côté très manga dans Bichon, notamment des points communs avec les « magical girls » comme Creamy ou Gigi. Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Gigi et Creamy, merveilleuse Creamy (dessins animés des années 80 et 90) m’ont en effet fortement influencé. Les séries violentes comme Ken le survivant et autres ne m’intéressaient pas. Je regardais avec mes sœurs tous les dessins animés sur La 5. En revanche, je ne connais pas bien les dessins animés actuels, j’en ai surtout un aperçu grâce à mes nièces mais j’avoue que le style graphique de certaines créations d’aujourd’hui me pique les yeux.
Quel est ton parcours artistique ?
J’ai fait l’école des Gobelins et une fois diplômé, j’ai travaillé dans plusieurs studios d’animation parisiens, surtout dans les dessins animés. Mais il y a quelques années j’ai arrêté, parce que je ne m’épanouissais plus dans ce milieu : la création d’un dessin animé est un très long processus, et les producteurs interviennent constamment sur la partie artistique, à tel point que le personnage final ne ressemble plus à ce qui avait été proposé au départ. Ce n’était plus moi… Sans compter que seul un projet sur dix voit le jour. Comme j’avais envie de créer des choses qui m’appartiennent, de dire des choses, je me suis mis en freelance, travaillant notamment pour Disney. J’avais envie de faire de la BD (même si je n’avais pas encore eu l’idée de Bichon), j’ai créé mon blog professionnel et un autre blog plus personnel, avec des dessins qui illustraient des choses que j’avais vécues. Mais il faut savoir que c’est un luxe de faire de la BD, on n’en vit pas : je dois encore travailler à côté. Mes activités freelance me prennent du temps, par exemple je dessine les couvertures des éditions françaises des romans de Chris Colfer pour Michel Lafon, et je travaille toujours pour Disney sur des illustrations. Alors dessiner les planches de BD, c’est en plus, et ce n’est pas évident de tout concilier, surtout que le rythme est assez soutenu dans l’édition BD : Glénat souhaiterait que je sorte un album par an. Ceci étant dit, je suis privilégié, ils ne m’ont jamais repris, ni censuré, je suis très libre.
Est-ce que tu as d’autres projets en préparation ?
Il y a un autre projet mais je n’en dirai pas plus, c’est secret [sourire].
Qu’est-ce que tu aimes lire ou regarder ?
Je ne lis pas beaucoup ces derniers temps. Ça fait un petit moment que je ne lis plus de roman, parce que je travaille à la maison : c’est surtout le soir que j’aime dessiner, et après dès que je lis je m’endors… Ah si!, je suis plongé actuellement dans Scott Pilgrim, mais pas parce qu’il y a un coloc gay, même si ça m’a incité, il n’y a pas que ça. L’exception se fait au niveau des BD, mais je ne les choisis pas en fonction de l’histoire, c’est plus le dessin qui va m’intéresser. J’adore Lou ! et Mamette par exemple.
Je regarde aussi des séries, notamment Rita (de Christian Torpe) qui parle parfois d’homosexualité, car l’héroïne a un fils homo. Au niveau des films, le premier qui m’a touché c’est Beautiful Thing (d’Hettie Macdonald), avec des personnages forts, variés, simples, pas obsédés par le sexe. J’avais 25 ans, mais jusque-là je n’avais pas eu de modèle, de personnalité de référence à qui m’identifier comme ça, les autres personnes LGBT ne me parlaient pas vraiment.
Quels sont les derniers événements qui t’ont touché ou révolté dans l’actualité LGBT ?
Je ne pense pas tellement à la France, je trouve qu’on s’en sort bien, mis à part les évènements autour du mariage pour tou-te-s. J’ai parfois l’impression d’une régression, parce que dans les années 90 on voyait plein de sujets de société abordés par exemple dans des séries comme Friends, et aujourd’hui ça n’avance plus tellement. D’ailleurs, on m’a plusieurs fois dit que j’étais courageux d’avoir créé Bichon, mais je ne trouve pas, je ne l’ai pas fait dans ce sens-là en tout cas. Je ne suis pas spécialement militant, je ne m’identifie pas particulièrement à la communauté LGBT, même si j’ai participé aux manifestations pour le mariage. Je suis plus inquiet au sujet d’autres pays, mais ça paraît tellement loin.
Ici, ce qui me choque le plus finalement, c’est le sexisme qui existe encore. Les films d’animations commencent à changer, en proposant des héroïnes plus indépendantes et fortes comme dans les récents Disney avec Raiponce, Elsa ou encore Mérida de Rebelle. En revanche, dans les packagings et le marketing, tout est balayé et on revient aux stéréotypes !
As-tu parcouru notre site, en particulier les témoignages ?
Oui j’en ai lu quelques-uns et mais je n’ai pas eu le même vécu que ceux qui parlent de la difficulté de faire leur coming out à leur famille, notamment. En fait, moi je n’ai pas vraiment eu à faire mon coming out, ni même à me poser la question de savoir si j’étais gay ou pas, puisqu’à quinze ans environ, ma mère m’a demandé si je préférais les garçons. Cela m’a bouleversé, je ne voulais pas “devenir” gay, principalement à cause du fait que je n’avais aucun modèle positif auquel m’identifier. À l’époque tout ce que j’avais vu c’était des émissions très racoleuses à la télé, ou encore l’ami gay d’une copine qui avait une vie totalement débridée. Je ne me reconnaissais pas du tout, et puis je ne tenais à pas à être différent, déjà que je l’étais parce que je dessinais mieux que les autres…
Mais ensuite je n’ai pas particulièrement été confronté à l’homophobie, heureusement.
Un mot pour nos lectrices et lecteurs ?
Je veux que les lectrices et lecteurs se sentent bien dans leur peau en lisant Bichon. J’ai envie de véhiculer un message positif, où Bichon pourra être un référent : oui, on peut être un peu différent mais avoir plein d’ami-e-s, des parents qui l’acceptent et le défendent, faire ses trucs sans se soucier du regard des autres. Je voudrais que les enfants qui se sentent comme lui aient confiance aussi pour plus tard. Beaucoup de monde peut s’identifier à Bichon, et j’ai volontairement voulu commencer par quelque chose de fédérateur, mais j’aimerais aussi dans les prochains albums m’éloigner des clichés, des stéréotypes. Il va y avoir des moments où les personnages vont changer, évoluer, parfois ils seront sympas, parfois ils ne le seront pas, ça arrivera aussi à Bichon et ça montrera que les gens changent, et ne sont pas tout noir ou tout blanc. Ça montre aussi que pour que les gens soient tolérants envers nous, il faut l’être soi-même. Il y aura des hauts et des bas, mais le tout sur un ton positif et léger parce que je souhaite y mettre des valeurs comme l’optimisme et la bienveillance.
À la base, j’ai écrit Bichon pour moi, selon mon propre vécu, mais ensuite quand d’autres l’ont lu, il s’est passé quelque chose. Chacun se l’approprie selon son propre vécu et sa propre sensibilité ; c’est ça qui est magique quand ce qu’on dessine et ce qu’on écrit devient accessible au public. Je suis content quand des petites filles et des mamans me font des retours positifs, mais je suis encore plus content quand un jeune garçon vient me voir pour me dire qu’il s’est reconnu, qu’il se dit qu’il n’est pas seul. Je mesure la portée que ça peut avoir, et j’en suis très touché et fier.