Est-ce que la question de la parentalité était déjà présente à ton esprit lorsque tu étais ado ?
J’ai toujours voulu avoir des enfants, depuis que je suis gamine. Je ne me voyais pas faire ma vie sans enfants, et quand j’ai compris à 20 ans que j’étais lesbienne, cela n’a pas changé mon désir – juste un peu compliqué, c’est tout. D’ailleurs c’est marrant parce que lorsque j’étais ado, j’ai souvent rêvé que j’avais un enfant (soit j’accouchais, soit j’étais enceinte) mais jamais dans mes rêves il n’y avait de « papa ». Peut-être un message que m’envoyait mon inconscient ! Toujours est-il que j’ai gardé mon désir. Lorsque j’ai dit à ma mère que j’étais lesbienne, sur le moment cela c’est bien passé, mais après j’ai eu le droit à tous les clichés : “qu’est-ce que j’ai raté ? Tu vas contaminer ta sœur ! Mais ça veut dire que tu ne veux pas d’enfants ?…” Sympa! Heureusement, elle a fini par comprendre même ça a mis du temps : il y a encore deux ans, alors que je lui parlais de problème dans mon couple, elle a lâché : « Ah, mais en fait vous êtes comme un vrai couple finalement ! » J’étais morte de rire !
Du côté de ma femme, elle s’était dit depuis toujours qu’elle était lesbienne donc ne pourrait pas avoir d’enfants. Elle ne souhaitait pas en porter et ne le souhaite toujours pas. Elle m’a laissé ce « plaisir ».
Est-ce que ça a été un sujet de réflexion lorsque tu as découvert que tu étais lesbienne ?
La réflexion est venue plus tard lorsque le projet est devenu concret. Il y a 8 ans, lorsque ma femme s’est sentie prête, nous avons réfléchi à comment construire notre famille. Nous avons d’abord pensé aux solutions « gratuites », comme demander aux copains, mais aucun ne souhaitait donner sa semence sans reconnaître l’enfant et nous ne voulions pas d’une triple parentalité. Du coup, nous avons envisagé les donneurs sur les sites internet mais là encore nous n’étions pas rassurées : peur de tomber sur un taré, ou qu’il décide un jour de reconnaître l’enfant, ou encore peur des maladies sexuellement transmissibles. Ensuite, nous nous sommes renseignées sur la coparentalité et avions trouvé un couple de mecs avec qui faire un enfant. Mais lorsque le futur papa biologique a demandé à avoir la garde du bébé dès sa première semaine, j’ai compris que cela ne serait pas possible pour moi de partager la parentalité. Trop de monde, trop compliqué. Nous avons donc fini par nous orienter sur la PMA en Belgique en sacrifiant pas mal notre budget vacances.
Est-ce que le fait d’être lesbienne t’a découragée/freinée dans ce projet ?
Non, cela ne m’a pas découragée. Freinée oui, car si j’avais été hétéro peut être aurais-je fais un enfant plus tôt (même si rien ne le prouve). Cela dit les nombreux allers-retours en Belgique, les traitements hormonaux, les examens médicaux, tout cela rend le parcours compliqué et épuisant. Surtout démoralisant. Gros sentiment d’injustice de devoir aller dans un autre pays pour faire ce que d’autres font en bas de chez eux ! Pourquoi moi je n’aurais pas le droit d’être maman? En quoi serais-je une mauvaise mère ? Juste parce que j’aime une femme ? Ce sont beaucoup de questionnements qui rendent le parcours long et déprimant.
Est-ce que devenir parent a été un parcours compliqué ?
Pour moi oui, même si certains hétéros mettent plus de temps que nous (et certains couples n’arrivent pas à avoir un enfant). Ca a été compliqué car il y a déjà tous les examens à faire avant de pouvoir commencer la PMA, certains parfois très douloureux (je me souviendrais toute ma vie de l’hysterosalpingographie = examen des trompes hyper douloureux). Pour nous il aura fallu 6 IAD (insémination avec sperme d’un donneur) puis 1 FIV n’ayant donné que 2 embryons : le premier qui n’a pas tenu (je l’ai vécu comme une fausse couche, et j’ai connu des symptômes dépressifs ensuite) et un second qui nous a donné une jolie petite fille ! Malgré tout, cela ne nous a pas empêché de recommencer et d’en faire un deuxième. Cette fois, on a fait directement une FIV qui a marché du premier coup et nous a donné un joli petit garçon. Oui, le parcours peut être compliqué mais nous venons de faire la connaissance d’un couple de femmes qui attend son premier après seulement une IAD, donc ce n’est pas pareil pour tout le monde. Et même si c’est compliqué, si c’était à refaire je recommencerais ! Le truc le plus dur fut le sentiment d’exclusion de devoir quitter son pays pour faire un enfant, ce sentiment de faire quelque chose d’illégal sans avoir pour autant le sentiment de faire quelque chose de mal. Espérons que cela change enfin, et que la PMA puisse se faire en France. Un parcours de PMA est déjà compliqué et douloureux en soi, donc si on peut éviter de rajouter la difficulté supplémentaire d’aller dans un autre pays, cela rendrait tout de même les choses plus simples.
Comment vis-tu le fait d’être maman lesbienne ?
Pas de soucis particuliers jusqu’à maintenant. Nos enfants ont 5 et 3 ans et demi et nous avons toujours eu des professionnel-le-s intelligent-e-s et qui n’étaient pas dans le jugement. On vit en banlieue parisienne, cela n’est peut-être pas pareil partout. A part cela, nous avons des inquiétudes particulières tout de même, comme la peur que les enfants soient moqués… Mais lorsque j’entends ma fille de 5 ans dire de manière très naturelle « j’ai deux mamans, j’ai pas de papa », cela me rassure. Même mon fils de 3 ans le dit déjà très bien et de façon très spontanée. Nous verrons avec le temps mais pour le moment, pas de soucis particuliers. Après j’assume bien mon homosexualité donc quand cela ne nous pose pas de problème et lorsque l’on présente la situation de façon naturelle, cela aide aussi je pense. Nous faisons attention à présenter la situation à chaque fois (maîtresse, centre de loisirs…), c’est important pour ne pas mettre les enfants en difficultés.
Aurais-tu un message à passer aux jeunes qui nous lisent sur ce sujet ?
Oui, si vous voulez des enfants, battez-vous mais faites tout pour les faire ! Le fait d’être LGBT n’est absolument pas un interdit à faire des enfants. Voici un proverbe inspiré du Cid de Corneille que je trouve très intéressant : « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Dans la vie, il faut se battre pour obtenir ce que l’on veut, mais aussi se connaître et s’assumer tel qu’on est ! Il est important de pas se laisser piétiner, car lorsqu’on a confiance en soi, qu’on est sûre de soi, les autres osent beaucoup moins de choses ! Mes enfants sont tout à fait équilibrés, intelligents, et comme les autres. Il n’y a pas de différences réelles chez eux, chez nous il y a deux mamans et pourtant des comportements dits “masculins” ressortent, comme d’autres comportements dit “féminins” aussi.