Je tiens bon

L’estime de soi


Temps de lecture: 12 minutes
Comment garder une bonne estime de soi malgré les LGBTphobies ?

Généralités

Qu’est-ce que c’est… l’estime de soi ?

L’estime de soi est le jugement affectif qu’on porte sur soi-même : est-ce que je suis suffisamment bien ? Et surtout, est-ce que je suis suffisamment bien pour être aimé-e ? Cela peut porter sur des parts différentes de notre être : notre apparence physique, nos capacités intellectuelles, nos domaines de prédilection (sports, jeux, arts…), notre capacité à plaire à notre entourage (amical, scolaire, professionnel…) etc. 

Il n’y a en réalité pas une seule estime de soi mais plusieurs : c’est ainsi par exemple qu’on peut avoir une bonne estime de soi sur le plan de la réussite scolaire et une très mauvaise estime de soi sur le plan physique, ou l’inverse.

De plus, ces différents niveaux d’appréciation sont très variables, pour ne pas dire fragiles : il suffit de peu – un échec, un jugement entendu ou la comparaison avec une autre personne, par exemple – pour que l’estime qu’on porte à l’une de nos facettes s’effrite.

Pourquoi c’est important, l’estime de soi ? 

L’estime de soi nous permet de nous juger capable ou pas de réaliser des actions. C’est ainsi qu’elle peut être un moteur ou un frein dans ce que nous faisons. Si elle est solide et réaliste, c’est un gage de succès, mais si elle est fragile et peu objective, elle peut nous amener à l’échec. Il est alors facile d’imaginer que cela peut nous entraîner dans un cercle vertueux, ou au contraire nous enfermer dans une spirale de défaites. 

Lorsqu’on donne à des enfants une tâche à effectuer, celle-ci sera beaucoup mieux réussie si le/la professeur-e précise au début : “je pense que vous allez y arriver, vous en êtes capables”. A l’inverse, si on annonce à quelqu’un ou à un groupe qu’il/elle est moins doué-e, ses performances seront nettement moins bonnes. C’est ce qui a été prouvé à plusieurs reprises lors d’expériences portant sur les stéréotypes de genre ou de “race”. 

De plus, lorsqu’une difficulté surgit, une bonne estime de soi permet de trouver des solutions : chercher de l’aide, se remettre en question de façon réaliste, analyser les solutions, garder à l’esprit ses objectifs à long terme, se mettre à l’action. Au contraire, une faible estime conforte dans une sorte de fatalité qui ne pousse pas à sortir de la situation problèmatique. 

Enfin, l’estime de soi participe à la stabilité émotionnelle : selon son niveau, on va être plus ou moins satisfait·e/déçu·e, content·e/triste, empli·e de fierté ou de honte… Ce qui va influencer nos réactions et comportements pour la suite.

De quoi est composée l’estime de soi ?

  • l’image de soi : c’est la façon dont on se voit, notamment grâce au reflet (plus ou moins déformé) que nous renvoient les autres
  • le soi idéal : c’est l’image idéale qu’on a de soi et vers laquelle on cherche à aller, grâce à des modèles et des valeurs
  • l’autoévaluation : c’est la comparaison entre l’image de soi et le soi idéal

C’est cette comparaison qui va nous faire dire qu’on est bien (proche de l’idéal) ou mal (loin de l’idéal). 

Ce jugement va ensuite avoir des conséquences sur notre comportement : 

  • la confiance en soi : permet de s’engager dans une action car on pense pouvoir réussir 
  • l’affirmation de soi : savoir communiquer clairement, exprimer ses opinions ou ses émotions, refuser ou accepter, tout en restant soi et en respectant les autres 

Quelles influences les autres ont sur moi ?

Je me compare aux autres

Les êtres humains sont sociaux, c’est à dire qu’ils/elles ont besoin du groupe humain pour exister. Cette partie très archaïque de notre fonctionnement conditionne beaucoup de nos comportements : en effet, par instinct de survie, les humain-e-s font tout pour être inclus-es dans un groupe. Ensuite, au sein du groupe, ils/elles souhaitent avoir une position forte et s’entourer de personnes fortes également. C’est pour cette raison que nous passons beaucoup de notre temps à regarder les autres : leurs faits et gestes, leurs idées, leurs styles, nous permettent de nous construire à notre tour selon ce qui nous semble attirant ou pas. 

Pourtant à force de regarder les autres, on en vient à se comparer, et pas toujours de façon très flatteuse. De plus, là encore, notre niveau d’estime personnelle à la base va influencer notre façon de nous comparer : lorsqu’elle est faible, on va se juger par rapport à toutes les personnes qu’on trouve “mieux” que nous. Lorsqu’elle est forte, on va se juger aussi par rapport à celles qui ont moins d’atouts que nous et donc nous placer à un niveau plus réaliste. 

Je perçois ce que les autres pensent de moi

Notre estime personnelle est comme une balance dont les plateaux se remplissent à chaque fois que quelqu’un porte un regard ou un jugement sur ce que nous sommes ou sur ce que nous faisons : côté positif ou côté négatif. 

Sentir que l’on est aimé.e, apprécié.e, félicité.e, approuvé.e, est essentiel… davantage même que les succès réels ! C’est pourquoi les personnes qui ont reçu depuis leur enfance des marques d’amour inconditionnel ont une balance bien remplie du côté positif. 

A l’inverse, les critiques dépréciatives s’accumulent du côté négatif et malheureusement elles ont tendance à peser plus lourd que les compliments. Les signes perçus comme porteurs de rejet fragilisent fortement l’estime de soi. 

Cela fait deux fois que Jules est choisi en dernier lors de la constitution des équipes de sport au lycée. Il rentre chez lui en se sentant nul et rejeté. Heureusement il en parle à ses ami-e-s qui lui envoient plein de marques d’affection : au bout de quelques heures, Jules réussit à retrouver le sourire.

Pourquoi ça peut être compliqué d’avoir une bonne estime de soi quand on est un-e jeune LGBT ?

Pour plusieurs raisons, qui se combinent entre elles. D’abord parce que tout le monde ne part pas avec le même capital “estime de soi” au départ. Notre réserve interne sera plus ou moins remplie et solide, selon que dans sa famille, on a reçu plus ou moins de marques d’affection, d’encouragements, de jugements positifs ou négatifs, de critiques justifiées ou injustifiées, etc.

Ensuite parce que l’adolescence est par essence un moment où on se construit, où on bâtit son identité, sans tout à fait savoir encore ce que l’on veut devenir et faire de sa vie. On peut souvent se sentir perdu-e, mais plus encore lorsqu’on est LGBT, car c’est plus compliqué de se situer par rapports aux autres. En effet, comme il y a quantitativement moins de personnes homo, bi ou trans, on peut manquer de points de comparaison et se sentir un peu isolé-e. De plus, être minoritaire peut aussi pousser à se comparer aux personnes hétéros et cisgenres, en se disant qu’elles forment la majorité, donc une forme de « normalité ». La conclusion qu’en tirent beaucoup de jeunes LGBT est « je ne suis pas normal-e ».

D’autre part, pour avancer dans la vie, on a besoin de soutien, notamment de sa famille. Les marques d’amour inconditionnelles sont essentielles, et nous donnent des bases solides. Or à un moment où l’on est en questionnement ou en découverte de son orientation, on ne peut pas forcément en parler à sa famille. Entre le moment de la prise de conscience et celle du coming out, il peut se passer plusieurs années. Cette période est fragilisante parce qu’on ne sait pas si notre famille nous acceptera tel-le qu’on est. On peut culpabiliser de devoir cacher certaines choses, ce qui peut nous donner l’impression de ne pas être quelqu’un de bien. Même si, pourtant, il est totalement légitime de protéger son intimité et se prendre son temps pour réfléchir !

Ensuite, et surtout, nous entendons tou·te·s fréquemment des propos LGBTphobes. Ceux-ci, même s’ils ne sont pas directement adressés, peuvent avoir un fort impact sur l’estime de soi de celui ou celle qui les entend. Cela fait douter de sa valeur et de sa capacité à être accepté-e et aimé-e, surtout quand les termes sont très violents : entendre qu’on a une maladie mentale, qu’on est anormal-e ou pervers-es, qu’on mérite le pire, c’est très choquant. Il est alors important de se rappeler que ces propos ne sont pas fondés, et uniquement portés par l’ignorance !

Pour finir, les personnes aux comportements homophobes pensent souvent que l’orientation sexuelle est un choix, ce qui engendre beaucoup de honte et de culpabilité chez celles et ceux qui l’entendent : « alors… c’est de ma faute ? ». Heureusement, il existe un antidote aux propos homophobes qui peuvent nous rendre tristes ou nous faire douter de nous : se diriger volontairement vers des contenus beaucoup plus positifs qui regonflent le moral ! 

Comment savoir si j’ai une basse ou une haute estime de moi ?

Il suffit d’écouter la petite voix intérieure qui commente nos actions et juge ce que nous sommes : l’autoévaluation. 

Soit elle parle de ce qui vient de se passer en particulier et des facteurs qui ont joué : « je n’ai pas su faire telle tâche pour telle raison, je n’ai pas eu de chance parce qu’il s’est passé ceci, ça se serait mieux passé si… » Ces propos sont constructifs et plutôt objectifs car ils permettent d’analyser la situation clairement et de s’y prendre autrement une prochaine fois, avec davantage de chance de succès.

– Soit elle parle de ce que nous sommes en général et dans l’absolu : « je suis nul-le, je rate encore une fois, je ne sais jamais faire, de toute façon je ne suis pas doué-e… » Ces propos ne permettent pas d’avancer, mais au contraire maintiennent dans l’idée que quoi qu’on fasse, ça ne marchera pas, comme une sorte de malédiction. Le risque est de s’enfermer dans l’échec, car il est moins risqué de s’attendre à l’échec que de voir ses espoirs déçus.

Comment se renforce l’estime de soi ?

Bien s’entourer

  • par des personnes qui nous renvoient du positif

Il est impossible de plaire à tout le monde, et d’ailleurs tant mieux, car on n’a pas très envie de plaire à ceux/celles qui nous déplaisent totalement, n’est-ce pas ? Alors mieux vaut fréquenter les personnes qui nous apprécient tel-le-s que nous sommes, et qui nous font nous sentir bien. Dites à vos ami-e-s que vous les aimez et pourquoi, et ils/elles feront de même. Il faut parfois savoir faire le tri entre vraies amitiés et amitiés toxiques (servir de bouche-trou ou de faire-valoir ne fait jamais du bien).
C’est ainsi qu’en tant que LGBT, nous pouvons choisir de nous entourer de personnes tolérantes, bienveillantes et ouvertes. Nous pouvons nous en faire de réel-le-s allié-e-s, qui seront là dans les bons comme dans les mauvais moments. En revanche, il vaut mieux fuir les personnes LGBTphobes, réactionnaires, provocatrices ou qui se servent de nous (par exemple pour avoir une expérience homosexuelle juste par curiosité).

  • par des personnes avec qui la comparaison est bénéfique (des modèles)

Lorsqu’on fréquente une personne que l’on admire, cela nous pousse à avancer, à développer chez soi les mêmes qualités qu’elle. Mais attention aussi à rester réaliste : on peut admirer autant qu’on veut une personne qui a des yeux magnifiques, cela ne nous permettra pas d’avoir les mêmes ! Alors l’admiration doit plutôt porter sur des qualités humaines ou des compétences qu’on est susceptible de pouvoir acquérir. Il est donc intéressant de trouver dans son entourage ou parmi les célébrités des personnes inspirantes, qui nous font nous sentir enthousiaste ! 
Quand je me sens fragile ou découragé-e parce qu’être lesbienne, gay, bi-e ou trans n’est pas facile tous les jours, je peux choisir d’aller me regonfler le moral grâce à des modèles d’identification positive. Voir que des personnes LGBT sont heureuses et épanouies, qu’elles réussissent dans leur domaine, qu’elles vivent de belles histoires d’amour ou construisent de belles vies de famille, tout cela peut nourrir des aspirations réalistes et positives.

Prendre soin de soi

  • Faire attention à sa petite voix intérieure, en veillant à ce qu’elle soit objective, juste et constructive. Une fois qu’on en prend conscience, on peut en quelques semaines ou quelques mois s’entraîner à se juger de façon constructive plutôt que négative. Si j’identifie une petite phrase négative que je me dis tout le temps (“mais quel nul-le !”), trouver des moyens de la ridiculiser : je l’imagine avec la voix d’un personnage de dessin animé, ou sur l’air d’une chanson que je trouve débile. Cela m’aide à prendre conscience que ce n’est, finalement, qu’une pensée et à mettre de la distance face à elle.
  • Agir ! Si je reste tout le temps chez moi, seul-e avec mes pensées, je peux difficilement me prouver ce que je sais faire. Ainsi, même quand j’ai subi un échec, il est important de continuer à sortir, bouger et à tenter de nouvelles choses. On dit qu’il faut remonter à cheval après une chute, c’est effectivement une sage décision. On peut aussi tenter un nouveau moyen de transport et découvrir qu’on est plus doué-e pour le conduire !
  • Connaître ses qualités et ses compétences, et accepter ses défauts : savoir en rire, et réussir à en tirer les bons côtés (« je suis bordélique ? Oui peut-être mais en contrepartie, je suis plein-e de créativité, de souplesse d’esprit et de capacités d’adaptation »). A chaque fois qu’une idée négative m’envahit, je peux me forcer à penser à quelque chose de positif en complément. Si je me dis que je suis nul-le en maths, je le complète en me rappelant que je suis super bon-ne en français. J’apprends ainsi mon cerveau à développer une bonne habitude en étant plus objectif. Sinon je pourrais enfermer dans une spirale négative.
    Personne ne peut être à la fois polyglotte, champion-ne dans toutes les disciplines d’athlétisme, cordon bleu en cuisine, bricoleur-se polyvalent-e, prodige de la guitare, bon-ne dessinateur-rice, champion-ne de la répartie et de l’humour, et toujours au top de son apparence physique. Si ? A priori non, et tant mieux : chacun-e son domaine ! En apprenant à te connaître, tu peux faire la liste de tes points forts et de ceux sur lesquels tu as le projet de t’améliorer. Si on te reproche de ne pas être ceci ou cela, tu ne te sentiras pas remis en question dans ton ensemble, et tu pourras ainsi répondre “c’est vrai, ce n’est pas mon domaine, mais je m’améliore par contre au niveau de…”.

En conclusion

Si on te reproche d’être LGBT, une bonne estime de toi te permettra de prendre du recul pour ne pas te sentir attaqué-e en tant que « toi globalement », mais seulement sur une facette de ton identité. Tu sauras que cela ne dit rien de ta valeur, mais que cela ne fait que refléter les opinions de l’autre. Tu auras une base solide pour répondre de façon factuelle et objective aux attaques, sans te laisser déborder par les émotions. Tu reconnaîtras les gens qui sont nocifs pour toi et tu les éviteras.

A lire sur le sujet :

L’Estime de soi, S’aimer pour mieux vivre avec les autres, de Christophe André et François Lelord, éditions Odile Jacob, 2008

L’Estime de soi pour les Nuls de Rhena Branch, Monique Richter, Rob Willson, First Editions, 2015