J’ai découvert ma bisexualité à l’âge de 15 ans. L’idée de deux femmes (ou même deux hommes) ayant des rapports sexuels ne m’avait jamais choquée ou dégoutée, ayant grandi dans une famille très tolérante et ouverte à la discussion. Cependant, mon attirance pour les filles fut quelque chose de très difficile à accepter et à comprendre dans les premiers temps, tout simplement parce que je ne le voulais pas. Tout me paraissait devenir trop compliqué, inavouable, gênant vis-à-vis de mes amies ; ce n’est pas que j’en avais honte, je savais que ça n’avait rien d’anormal ou de malsain, mais j’avais peur qu’on me voie différemment et qu’on se détourne de moi.
À mon arrivée en seconde, il y a avait cette fille dans ma classe : magnifique, élégante, gentille, drôle, pétillante, et elle reste à ce jour l’une si ce n’est la plus belle fille que j’aie vue de ma vie. À côté d’elle dans un cours, je me suis rapidement liée d’amitié avec elle et elle était presque une sorte de modèle pour moi. Je voulais lui ressembler, avoir ce même jolie petit nez, ces yeux brillant de malice et cette bouche rosée qui laissait échapper une voix charmante. Au fur et à mesure, la regarder, l’écouter parler devenait un plaisir, ça n’était plus de l’admiration, mais de la contemplation. Je ne voulais plus lui ressembler, mais être avec elle le plus souvent possible, me nourrir de son image. Je pensais souvent à elle, croyant simplement que je l’appréciais particulièrement en tant qu’amie. Un jour, alors qu’elle avait lâché ses cheveux ondulés et volumineux, elle se pencha sur sa feuille pour écrire, ne laissant que quelques centimètres entre sa joue et la table. À mon habitude, je la fixais et le mouvement qu’elle fit pour se pencher ainsi fit couler ses cheveux vers l’avant, découvrant sa nuque, ses épaules et une grande partie du haut de son dos. Un grand frisson m’envahit à cet instant et toute la journée, je restai hébétée et pensive. En rentrant chez moi, je compris ce qu’il se passait en moi et ne pus cesser de pleurer de la soirée, me demandant ce que j’allais devenir, quelle serait ma vie maintenant comme si tout était devenu différent : un grand drame.
Je ne parlai pendant très longtemps à personne de tout ceci, essayant de me débarrasser de ces sentiments qui m’encombraient. Elle avait un petit-ami militaire, bien viril et macho et ça semblait lui plaire, et un de mes amis avait le béguin pour elle et me rabâchait qu’elle était belle et attirante toute la sainte journée. En bref, je n’avais aucun espoir de lui plaire et faisais tout pour passer à autre chose en me trouvant un copain, en me réfugiant dans ce que je connaissais et qui ne paraissait pas aussi risqué. Le passage au vestiaire de sport restait très gênant car je ne me comparais plus aux autres filles, mais j’en reluquais certaines sans le vouloir vraiment, c’était plus fort que moi. Je pris donc la décision pour maintenant et les années à venir de fixer le mur, de ne parler à personne et d’en sortir rapidement pour éviter de « profiter » de la situation et surtout de ne pas me faire découvrir. J’essayai plus tard de faire part de mon attirance pour les filles à mes sœurs, qui pensèrent à une blague et me rirent au nez. J’ai commencé à accepter les choses un an plus tard en rencontrant une fille dans le même cas que moi. Je tombai amoureuse d’elle pour finalement entendre qu’elle n’était pas prête pour une relation, sérieuse ou non, avec une fille et que de toute façon, elle ne l’assumerait pas. Ce fut très dur et durant 2 ans j’ai gardé de l’attirance pour elle, tout en me réadaptant à une relation amicale et de temps en temps un petit peu plus qu’amicale. En me voyant pleurer de ne pas être avec elle, mes sœurs comprirent enfin la véracité de ce que je leur avais confié et tentèrent de me conseiller et de me consoler.
Trois ans après la connaissance de ma bisexualité, je découvrais The L World, qui certes ne reflète pas vraiment la réelle vie de la communauté LGBT, mais fut une véritable réponse à beaucoup de questions et effaça beaucoup de mes doutes et appréhensions. Ce fut enfin là le temps d’annoncer à mes parents mon orientation. Je décidai d’en parler à ma mère qui de toute façon ne cachait rien à mon père. Dans un élan de confiance et de volonté de partage et d’honnêteté, mon annonce fut reçue comme une divagation d’adolescente qui se cherche et « vit dans l’air de son temps« . Elle ne me prit absolument pas au sérieux, peu importe que cela fasse trois ans que j’avais retourné la question dans tous les sens et affirmé être sûre de moi, mais elle jugea utile de préciser que de toutes façons, c’était ma sexualité et que ça me regardait. Je restai très blessée et déçue par cette réaction qui ne donna lieu à aucune discussion sérieuse du sujet depuis. Je pense cependant qu’avec le temps, réalisant que beaucoup de mes amis proches étaient des garçons et à force de lui présenter des filles, ou de faire tel commentaire sur le physique de telle actrice, elle a enfin compris que je n’avais rien inventé pour avoir « l’air cool » ou « faire comme tout le monde« . En réalité, c’était un long processus pour faire avec cette attirance dont je ne voulais pas, pour ainsi dire. Mon père a sûrement eu connaissance de l’information, mais est toujours resté discret sur le sujet, n’aimant pas se mêler de la vie des autres et ne voulant pas risquer de rendre sa fille mal à l’aise avec lui.
Actuellement, cela fait un an que j’ai complètement accepté ma bisexualité. Je ne ressens aucune gêne à en parler et tente même quelquefois un peu de drague quand je rencontre une fille qui me plaît. Les hétérosexuelles trouvent cela flatteur en général et plutôt que d’être hostiles, bien au contraire, me font un grand sourire et je vois que j’éveille leur curiosité. Cela étonne beaucoup de gens parce que j’ai toujours été très féminine (sans être pour autant superficielle), et comme ils pensent au cliché de la fille garçonne, ils me trouvent en décalage avec ce que je suis. Personnellement, je me sens parfaitement bien comme je suis, en accord avec moi-même, mais une question persiste à laquelle personne ne pourra jamais répondre à l’avance : avec qui vais-je finir ma vie ?
Bien sûr, je tombe amoureuse de quelqu’un pour sa personnalité, pas parce qu’il est homme ou femme, mais j’ai remarqué que j’ai des périodes « hommes » et des périodes « femmes » qui s’alternent. Je ne suis pas du tout du genre volage, mais pourrais-je, suis-je capable de finir ma vie avec seulement l’un des deux sexes ? Au bout de dix ans de vie commune, n’en n’aurai-je pas marre de me limiter à une part de moi-même sans explorer l’autre ?
À suivre…
Témoignage reçu en mars 2012
Le commentaire de C'est comme ça
Nous avons été frappés, en recevant ce témoignage, par la force du déni initial des sœurs et de la mère d'Antoinette*, dont elle a bien exprimé combien ils l'avaient blessée. Nous trouvons de ce point de vue son histoire très importante pour notre site, car c'est une situation plus fréquente qu'on ne l'imagine. Sans être strictement "homophobes", les situations d'incompréhension et de surprise, ou les remarques du type "c'est à la mode de se dire bi (ou homo)" sont néanmoins pénibles et n'aident pas à se sentir bien dans sa peau. D’ailleurs, dans certaines familles, l'homosexualité semble acceptée, oui, mais pour les autres. Lorsque toutes les formes d'attirance ne sont pas considérées comme égales par notre entourage et par nous-mêmes, on peut être amené à éprouver les craintes que décrit bien Antoinette : "j’avais peur qu’on me voie différemment et qu’on se détourne de moi" et aussi l'appréciation d’un sentiment "trop compliqué, inavouable, gênant". C'est important alors de trouver de l'assurance ailleurs: dans des personnages qui permettent de s'identifier, comme les filles The L World pour Antoinette, ou auprès de personnes que l'on connaît.
* : le prénom a été modifié
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