La poésie des invertis


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Je m’appelle Maylis* et j’ai 15 ans. Cela fait environ six mois que je me pose des questions sur moi, sur mon entourage et sur mon avenir, comme beaucoup d’adolescents souvent du même âge. Parmi toutes ses questions qui me tournaient la tête, je me suis un jour légitimement posée la question : « et si j’aimais les filles ?« .

Il faut dire qu’avant que cette question ne prenne forme dans mon esprit, j’avais déjà comme toutes mes amies embrassé des garçons, plus ou moins attirants, par jeu ou parce qu’ils m’avaient embrassée eux, mais il n’y a jamais eu de suite à ces baisers. Lorsque je m’en suis rendu compte, du haut de mes 14 ans, j’ai pris peur et je me suis mise à me ronger les ongles: « Serai-je différente ? Est-un crime ? Dois-je en parler ?« . Tout un été s’est déroulé ainsi, et en entrant au lycée j’ai quitté mes amies pour en découvrir de nouvelles. Je crois que ce nouvel environnement m’a libérée et j’ai décidé d’en parler.

La toute première personne avec qui j’ai abordé le sujet était une amie de longue date, avec qui je me sentais bien et à qui je disais tout, ou presque. En lui parlant de mes doutes, elle m’a regardée par en-dessous et m’a dit: « Tu es sûre que tu es homo ?« . Je dois dire que ce regard m’a blessée mais maintenant que j’avais lâché « la bombe », je n’avais pas le droit de me retourner. Je lui ai dit que je n’étais pas sûre de moi, puisque jamais je n’avais embrassé de filles, et je lui ai demandé dans la foulée si elle serait d’accord pour qu’on essaie toutes les deux. Elle m’a encore sorti un petit regard choqué, mais j’ai tenu bon (c’était dur !) et finalement elle m’a embrassée. Ça a été bref, mais j’ai ressenti quelque chose de différent, de frais, quelque chose qui me plaisait et que je n’avais jamais senti avec les garçons. Peut être ne sont-ils pas assez propres ? — me suis-je dit en rigolant par la suite. Mais sur le moment, quand mon amie a retiré ses lèvres et m’a fait remarquer qu’elle n’avait rien ressenti, mon courage a totalement disparu et je ne me suis pas senti la force de la contredire. Nous sommes parties en riant, elle avec une bonne expérience de plus et moi avec le sentiment que j’avais peut-être un nouveau pan de mon existence à découvrir.

Peu de temps après, j’ai essayé d’en parler à mon meilleur ami et à ma meilleure amie : je ne pouvais plus rester sans rien faire en sachant que j’étais différente, en faisant semblant d’admirer les belles fesses de tel ou tel garçon alors qu’elles ne m’attiraient franchement pas ! Mais dès que j’ai abordé le sujet, ils se sont tous les deux empressés de me demander: « Mai tu es bien hétéro hein ? Parce que ça ne t’a rien fait d’embrasser une fille ? ». Je force peut être le trait mais le sentiment est là. Je me suis sentie très mal après cet épisode, parce que je venais de me reconnaître telle que j’étais, une fille toute à fait normale au final, juste avec des attirances différentes du reste de mon groupe, mais ce n’était pas dramatique et j’avais confiance en mes amis pour m’accepter comme ça. La déception a été lourde à porter et j’ai décidé, malgré ce découragement brutal, de m’ouvrir à mes parents qui eux sûrement devaient avoir un jugement plus ouvert que celui de mes adolescents d’amis, peut être trop imprégnés de leurs problèmes pour accepter les différences des autres. (Oui, j’ai choisi la voie de l’altruisme et de la compassion !) Et lorsque j’en ai parlé à mon père, c’était tellement difficile rien que d’imaginer qu’il puisse me rejeter parce que j’aurais été bi ou homo que j’ai hoqueté pendant un bon quart d’heure. Il m’a regardée droit dans les yeux et il m’a dit: « Et si tu me racontais une histoire de fée multicolore ? » (petit personnage des nombreuses histoires que me racontait mon père quand j’étais toute petite, la petite fée multicolore a tous les pouvoirs qui existent et qui n’existent pas, et en général elle me représente toujours : « la petite fée multicolore doit aller se coucher, maintenant » est la phrase que j’ai entendue le plus souvent quand j’étais petite !). Ça m’a fait rire qu’il me rappelle cette histoire en pleine scène dramatique (vous vous rendez compte ? Je me sentais ridicule) et j’ai essayé de me ressaisir. Je lui ai répondu:- Et si la petite fée multicolore était gay ?
– Alors ce ne serait pas très grave ma puce, m’a-t-il dit en regardant dans le vide. Ça ne fait aucune différence que tu sois gay ou bi ou quoi que ce soit tant que tu es heureuse. Tu savais que Marcel Proust les appelait « les invertis »
?

Marcel Proust est son auteur préféré, et après quelques recherches j’ai appris qu’il était gay lui aussi, inverti parmi les invertis qui traînaient dans ses livres. Voir mon père jouer au professeur alors que je venais de lui dévoiler le poids qui faisait ployer mes épaules depuis trop longtemps, ça m’a fait beaucoup de bien. Il ne s’en fichait pas, je lui en aurais voulu sinon, mais ça ne l’inquiétait pas et ça ne le choquait pas. Le soulagement de ma vie. La petite fée multicolore pouvait battre des ailes à nouveau !

La vie a repris des couleurs, et le lendemain j’ai décidé d’en parler avec ma mère. Je lui ai dit avec, je l’espère, plus de délicatesse qu’à mon père mais sans prendre trop de détours. Elle a rigolé, elle m’a dit que je devais surtout prendre mon temps pour y réfléchir posément mais que ce n’était pas un problème, au contraire ! Et puis peut-être que j’étais bi, ce qui, franchement, était chouette « parce que tu te sens plus à l’aise avec les femmes, et quand tu es avec les hommes tu alimentes leurs fantasmes !« . Bref, j’ai des parents sympas.

L’année s’est poursuivie et j’ai découvert avec étonnement que les nouvelles rencontres au lycée m’apportaient énormément: mes amis étaient agréables, sympas, adorables, et je me sentais en confiance avec eux. Je me suis confiée à deux de mes nouveaux amis, mes deux copines les plus proches et je leur ai confié que j’avais des doutes forts sur ma sexualité. Elles ont eu la meilleure réaction du monde: elles s’en fichaient ! Je ris encore de ma joie lorsqu’elles m’ont dit, l’une après l’autre, qu’elles s’en foutaient (qu’elles sont mal élevées !), que je faisais ce que je voulais et que ça ne changeait strictement rien à notre amitié. Peu de temps plus tard, l’une d’elles m’a même confié qu’elle aussi avait des doutes et qu’elle le savait depuis longtemps, mais qu’elle ne l’avait jamais dit à personne. Maintenant elles et moi on en parle tout le temps, on rit et on se charrie sur le sujet, on se confie nos petites histoires comme avant, et rien n’a changé. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que mes anciens amis ne me correspondaient peut être plus, et c’est avec regret que je les vois moins, leur parle moins et pense moins à eux, mais c’est la seule façon pour moi d’avancer. Et je sais pertinemment que si je leurs en parle un jour ils me regarderont de travers, me jetteront un regard choqué au visage et je ne pourrais plus jamais être véritablement amie avec eux, parce que le regard, les mots resteront. J’en ai parlé à deux ou trois amis, deux filles qui l’ont très bien pris aussi, et un garçon qui l’a plus ou moins bien pris. L’avenir me le dira ! Ça a eu le mérite de m’apprendre que même si l’homosexualité devrait être bien prise par tout le monde, certaines personnes même proches peuvent être choquées par ça. J’en ai été déçue mais on ne peut rien y faire. À présent, après de nombreuses réflexions entre filles et quelques expériences de plus, j’aimerais « tester » une relation avec une fille et avec un garçon, pour voir ce qui me plairait le plus, ce qui me conviendrait le mieux. C’est dur parce que je ne veux blesser personne, et que je pense pouvoir tomber amoureuse d’une fille comme d’un garçon. Mais qui ne tente rien n’a rien, et je trouve que cette phrase résume bien tout mon parcours dans cette branche-là de ma vie.

Pour conclure, je vous fais part de mes regrets à devoir employer les mots « confier », « dévoiler », « avouer » pour parler de ce sujet: je ne devrais pas avoir à les utiliser, ça apparente la chose à un vilain petit secret, ce que je ne ressens plus maintenant. J’espère qu’il en ira de même un jour pour les gens qui ont vécu la même chose que moi. J’ai lu beaucoup de témoignages postés et tous ceux que j’ai lus m’ont donné envie d’écrire le mien, en priant pour qu’il fasse avancer les lecteurs autant que les autres témoignages m’ont fait avancer.

Je souhaite à tous ceux qui sont sur ce site, qui lisent les témoignages, qui arpentent internet en quête de réponses et tous ceux qui se renferment encore sur eux et qui sont perdus, sans réponse, beaucoup de chance et de bonheur parce que maintenant que tout ça est derrière moi, je prends du plaisir à expliquer mon parcours, à partager mon expérience et à être tout simplement moi-même devant mes amis et dans ma famille. Si j’avais un conseil à donner, ce serait d’en parler avec des gens de confiance ou des gens qualifiés pour ça, parce que moi ça m’a beaucoup aidée et fait avancer, c’est comme ça que je me suis construite (et aussi parce que je suis une pipelette, ça se voit, non ?) !

Gros bisous !

* le prénom a été modifié

Témoignage reçu en janvier 2014

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.