Homosexualité : un fardeau ?


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Par où commencer ? On vous dira sûrement que c’est facile à assumer et que vous y parviendrez facilement – ce qui n’est pas si faux que ça – mais vous penserez sans nul doute que c’est plus facile à dire qu’à faire. J’ai aujourd’hui 25 ans et il m’a fallu beaucoup de temps pour y parvenir.

Tout a commencé quand j’étais adolescent. A l’époque, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait et j’ai donc refoulé cette chose ou plutôt ce « fardeau ». Oui, c’est ainsi que je concevais la chose. C’était une période dure, très dure : Il fallait que je bouscule toutes les idées reçues et il fallait tout chambouler dans ma petite tête. Toute une série de questions ont défilé dans mon esprit. Des questions classiques que j’ai énumérées dans ma lettre de coming-out. Vous la trouverez à la fin de ce petit témoignage parce que je pense que ça peut vraiment aider des personnes en détresse, qui sont dans l’état dans lequel j’étais pendant de nombreuses années.

Le déclic : à mon arrivée à Paris, j’ai pu voir et côtoyer des gens qui partagent la même orientation sexuelle que moi. Des gens qui vivent pleinement leur homosexualité et qui ne prêtent aucune attention aux ragots et aux quolibets. Ceci a réveillé la bête qui jusqu’alors sommeillait en moi durant toutes ces années. A l’époque, j’avis 23 ans. J’ai eu un ras-le-bol de cet état d’inhibition et de déni. J’ai commencé à avoir des expériences sexuelles avec des hommes, chose qui m’était inconcevable quelques mois auparavant. Les premières expériences n’étaient pas très réussies parce qu’elles étaient suivies d’un mélange de dégout de soi-même, de regret et de culpabilité. Certains hommes étaient gentils avec moi et m’ont donné des conseils. C’est comme si j’avais été adopté par ces personnes qui connaissent si bien ma situation. Le fait d’en parler avec des gens qui nous comprennent aide beaucoup.

Étant excessivement timide, je me suis tourné vers un forum LGBT profitant de l’anonymat offert par internet. Ensuite, j’ai contacté SOS homophobie et là, une personne très compétente s’est occupée de moi. Elle était très compréhensive et connaissait très bien le sujet. Ça m’a permis de me remettre en question et de revoir en profondeur tous les aprioris que j’avais, notamment grâce a des lectures et des films qu’on m’a conseillés. J’avais dévoré tous les romans d’Abdallah Taïa, cet écrivain homosexuel marocain avec qui je partage bien plus qu’une orientation sexuelle. Comme moi il est issu d’une société régie par des normes paradoxales, une société où règne une hypocrisie sociale révoltante et dont le poids est assez pesant. Un de ses meilleurs romans vient d’ailleurs d’être adapté au cinéma : L’armée du salut.

Petit à petit, le processus d’acceptation s’intensifiait et chaque jour qui passait, je sentais la différence. Je regagnais confiance en moi-même et je m’assumais de plus en plus. La clé de réussite de cette étape est de se dire que « c’est normal » et de dédramatiser la chose. Il faut prendre la chose comme un paramètre parmi tant d’autres même s’il peut se montrer déterminant sur certaines décision que vous devrez prendre dans votre vie. J’ai longtemps hésité entre le fait de rester à Paris ou de rentrer à Tunis où j’aurais une meilleure vie sur le plan matériel. La décision fut difficile à prendre mais j’ai finalement opté pour l’épanouissement personnel que pourrait m’apporter la ville des lumières. Oui, ici tout est possible. Pour ceux qui en ont envie comme moi, une vie de famille est envisageable grâce aux lois votées récemment. Pour conclure sur le sujet de l’acceptation, sachez chers lecteurs que c’est possible et que même si c’est difficile — oui, ce n’est pas évident et je ne vous le cacherai pas —, qu’à l’issue de cette phase, vous serez en PAIX avec vous-même et ça, ça n’a pas de prix.

Je l’ai ensuite dit à mes amis les plus proches : un enchaînement de coming-out qui ont tous amélioré mes relations avec eux parce que je n’avais plus rien à leur cacher et que je suis devenu moi-même. Sachez juste choisir des gens qui vous méritent ! Une personne qui ne vous accepte pas comme vous êtes ne vous mérite pas. Pour ma part, depuis ma plus tendre enfance, j’ai inconsciemment choisi des amis ouverts d’esprit. Enfin vint le temps de vérité envers ma famille. Je n’ai pas supporté de vivre dans le mensonge. Libre à vous de le dire ou pas ! Je sais que dans certains cas, surtout dans les pays du Maghreb et du monde arabe plus généralement, mieux vaut l’ignorance. Ma famille étant ouverte d’esprit et pas très religieuse, j’ai décidé de le leur annoncer. Suite à la lecture de la lettre que vous trouverez en bas du témoignage, ma mère, les larmes aux yeux, m’avait dit : « Tu es mon fils et je t’aime ! » C’était un soulagement sans précédents : des années d’angoisse, de dépression et de mélancolie évincées par ces quelques mots.

Aujourd’hui, je me sens serein et je suis en paix avec moi-même. Donc, pour ceux qui disent que ce n’est pas possible, sachez que ça l’est vraiment ! Il y a 4 ans je n’aurais jamais cru que je pouvais vivre comme aujourd’hui : LIBRE.

Ci-dessous ma lettre de coming-out  avec quelques parties intimes qui ont été supprimées :

Maman,

Mère adorée,

Ces dernières semaines, je suis passé par des moments difficiles qui ont fait émerger cette dépression latente ; une dépression qui a nourri mon mal-être durant des années et des années. Comme nous en avons discuté à maintes reprises, une bonne partie de cette dernière est due à un sentiment de culpabilité envers toi. Tu t’es toujours sacrifiée pour nous et, pour moi par conséquent, je devais être irréprochable et ne jamais te décevoir. Je devais être le fils parfait. 

Pendant de longues années j’ai lutté contre moi-même, j’ai lutté contre la personne que j’étais réellement. Pendant de longues années, j’ai dû me conformer à tes attentes et celles de la société : me glisser dans un moule tout prêt que je n’ai pas choisi. Le combat était rude, car il n’y a rien de plus difficile en ce monde que le refoulement et l’inhibition de ses désirs.

L’acceptation de cette réalité pour moi fut plus que difficile… des années de questionnement : Suis-je normal ? Est-ce normal ? Pourquoi est-ce que je ressens cela ? Pourquoi suis-je comme ça ? Pourquoi moi ? Peut-être serait-ce une maladie ? Ou une tare comme « ils » le disent ? Serai-je capable de vivre avec ce « fardeau » ? Serai-je capable de vivre cette « chose » ouvertement ? Bref ! Un ensemble de questions qui m’ont plongé dans un océan de mélancolie, un abîme où tout était flou et où, chaque jour qui passait, je me sentais encore plus perdu et plus malheureux. 

Comme je l’ai dit plus haut, tu t’es sacrifiée pour nous et tu nous as consacré toute ta vie. Tu as toujours été une mère parfaite et tu l’es toujours. Aujourd’hui je suis arrivé à un point de ma vie où je veux vivre, où je veux être moi-même sans peur ni culpabilité. Or, il y a toi. Je t’en ai voulu pour ça. Je t’en ai voulu parce que je t’aime trop et je ne m’aime pas assez pour m’affirmer et connaitre le bonheur comme mes semblables. 

J’ai menti à tout le monde et, plus grave encore, je me suis menti à moi-même en essayant de vivre dans le déni. Un déni qui m’a tant fait souffrir, un déni qui m’a fait perdre toute confiance en moi-même. J’ai vécu dans la peur, l’angoisse, l’amertume et l’isolement (même si j’avais mes amis). J’ai mis en place une barrière qui a failli me tuer, une barrière qui a aspiré toutes mes forces et aujourd’hui je veux m’en défaire pour vivre une vie « normale », une vie sereine (mot qui m’est si étranger).

Aujourd’hui je suis dans un état de torpeur parce que je ne sais plus ce que je dois faire et même si parfois je le sais, je ne sais pas comment le faire. C’est comme si le noyau en fusion maintenu par ces forces qui m’épuisaient durant toutes ces années était en train de dégénérer à cause de la dissipation progressive et non voulue de ces dernières. Les crachats de feu sont en train de gicler dans tous les sens. Le mur de cloisonnement que j’ai construit pour protéger cette zone tumultueuse est en train de s’effondrer. Les pensées ne sont plus contrôlées, les dire l’est encore moins. Panique, incompréhension, confusion, sidération… Tout est là. Tout. Je suis en train de me noyer de plus en plus. Je suffoque à cause de ce « fardeau » que j’ai porté depuis si longtemps. 

Maman, j’ai envie de vivre. J’ai envie, pour une fois dans ma vie, d’être égoïste et vivre ma vie comme je l’entends. Je suis un peu – euphémisme de l’année – différent des autres. Ce n’est ni une tare, ni une maladie. J’aime juste mes semblables. J’aime les hommes. C’est quelque chose que je ne contrôle pas. C’est dame nature qui en a voulu ainsi et je pense qu’on doit se plier à ses caprices pour trouver la paix avec soi-même.

Je veux que tu saches que ce n’est pas à cause de toi ni à cause de Papa. Je suis juste comme ça et je l’ai toujours été. Je me suis toujours caché de peur du rejet mais là je n’en peux plus. Je ne peux plus vivre comme ça. Je veux avoir un amant, je veux de la stabilité, je veux me marier un jour, je veux avoir des enfants ! Oui aujourd’hui c’est possible ! Je veux que tu saches aussi que je suis loin d’être le seul. En revanche, je fais partie des rares [maghrébins] qui s’assument et qui veulent être francs envers eux-mêmes, leur entourage et bien sûr envers cette société régie par ces normes archaïques.

Maman, 

Je veux me battre, je veux m’affirmer. Ça sera dur pour toi mais sache que ça l’est beaucoup plus pour moi. Je veux être heureux ! C’est tout ce que je te demande !  C’est tout ce que je demande aux gens qui m’aiment ! 

Maman,

Accepte-moi comme je suis ! Aime-moi comme je suis ! L’amour entre deux personnes du même sexe n’est pas si différent. C’est sain ! C’est pur ! Et ça apporte de l’apaisement et de la sécurité.

(…)

J’aimerais que tu me soutiennes, j’aimerais que tu sois la même avec moi, j’aimerais que tu gardes tes rêves, tes rêves de mère : petits enfants et famille… Je vivrai très probablement en exil jusqu’à la fin de mes jours parce que c’est le seul moyen de vivre comme je veux. C’est le seul moyen de trouver l’épanouissement personnel.

Je culpabilise tant de te l’avoir dit mais sache que ce n’est pas de l’égoïsme mais, bien au contraire, une preuve d’amour. Je veux que tu me connaisses mieux ! Je veux que tu me comprennes et que tu m’aimes pour ce je suis réellement. Parce que oui Maman je suis Gay, et oui cela ne changera rien parce que ce n’est qu’un détail.

Tu vas sûrement avoir peur des autres et du « qu’en-dira-t-on » et je le comprends. J’essayerai d’être discret à Tunis. J’essayerai de ne pas t’attirer la « honte » et le « déshonneur ». Et même s’ils l’apprennent, détache-toi un peu de leurs dires et de leurs ragots. Tu dois être au dessus de cela. Tu dois être forte (tu l’es d’ailleurs, sinon tu ne serais probablement plus de ce monde aujourd’hui). 

Ici, à Paris, je me suis fait de nouveaux amis et ils m’acceptent comme je suis. Parmi les anciens : D., K. et W. l’ont appris et l’ont très bien pris. Ils me considèrent toujours comme un de leurs meilleurs amis et il m’ont soutenu même si des fois je ne me suis pas montré à la hauteur à cause de ma dépression. 

Je l’ai dit à F. (ma soeur) il y a deux ou trois semaines et elle a dit qu’elle m’aimait toujours autant et qu’elle allait me soutenir quoi qu’il arrive. Elle m’a demandé d’ignorer les gens et la société barbare au sein de laquelle j’ai vécu.

Comme toutes les mamans, tu vas avoir du mal à l’accepter au départ. Ça va chambouler tous tes rêves et toutes tes attentes. Comme toutes les mamans, tu vas penser que c’est à cause de toi. Je te le répète encore une fois, c’est naturel ! Ce n’est pas une maladie. On vit avec comme on vit avec un gros nez ou des oreilles décollées… 🙂 Je sais que tu es capable d’acquiescer. Ça prendra peut-être un peu de temps mais ça se travaille. Je te donnerai des films et je t’enverrai des livres sur ça si tu le veux. 

Que te dire de plus ? Je t’aime maman et tu es la personne que je chéris le plus en ce bas monde. Tu es ma source d’espoir. Tu es la personne qui m’a inculqué les bonnes valeurs et l’amour de mon prochain. Papa aussi m’a beaucoup appris et il me manque. Quand je touche le fond j’essaye de penser à toi et à ta force de caractère dont tu n’es pas consciente, j’essaye de penser à Papa, de tirer des leçons de ses erreurs et d’agir comme lui en aidant celui qui a besoin d’aide et en pardonnant aux gens leurs bavures et leurs bêtises parce qu’ils sont humains.

Je t’aime maman. 

Ton fils,
Yacine*

* le prénom a été modifié

Témoignage reçu en mai 2014

Pour témoigner sur le site de C'est comme ça,
vous pouvez écrire à l'adresse cestcommeca@sos-homophobie.org
Attention à bien lire la charte des témoignages avant de nous écrire.