En fait, Papa, t’as un doute au fond de toi, quelque chose que tu sens, t’as pas de preuves mais tu ne peux pas t’empêcher de craindre le pire. C’est ça, qui me fait peur en vrai.
C’est Ghislain qui raconte son histoire, s’adresse à ses parents. Il a raté son bac une fois et n’a pas la tête à le repasser. Trop de confusions dans sa tête, et ses parents qui passent leur temps à se disputer: “Je n’ai jamais pensé que mes parents s’engueulaient à cause de moi, j’ai toujours su qu’ils ne m’avaient pas attendu pour commencer”. Qu’ils “s’engueulent”, ça passerait encore, s’il pouvait se cacher derrière, et ne pas leur dire son secret, “cette foutue boulette dans une famille qui n’attend plus que moi pour s’effondrer, quand elle saura qui je suis en réalité.” Car il aime les garçons, pas les filles, assurément une bombe le jour où il la lancera dans leur salon… Comment vont-ils réagir ? Sa mère l’aime, mais a tendance à être intrusive, et lui demande toujours pourquoi il ne ramène pas ses petites amies à la maison. Son père, lui, a décidé d’en faire un génie du bricolage et de lui apprendre ce que c’est d’être un homme.. Alors il culpabilise et tout part en vrille, même s’il voudrait être le fils parfait… Et comment leur cacher son envie d’aller dans des lieux gays, “de sauter le pas”: “Ici, j’ai le droit de brancher des mecs, je peux leur passer le bras autour du cou sans qu’on me demande si je ne suis pas pédé par hasard, sans qu’on m’envoie bouler…”
Avec Mauvais fils, Raphaële Frier met les lecteurs et lectrices dans la peau de Ghislain, en ne lui donnant pas de description physique (car il pourrait être n’importe quel-le adolescent-e lesbienne, gay ou bi-e). En revanche, elle lui donne une voix : forte, drôle, amère. “Le truc de mon père, c’est les roues de sa voiture.[…] Je redeviens l’assistant, son apprenti homme de ses rêves. Il me donne des consignes, me tape dans le dos quand je fais le bon geste, je suis son fiston. Et depuis qu’il s’occupe de moi pour occuper son temps, je suis sur la bonne voie.” Le roman est court mais il parle de beaucoup de choses : l’obligation pour les adolescent-e-s de se conformer aux stéréotypes de genre, les intrusions des parents dans leur vie privée, les LGBTphobies au sein de la famille, la difficulté à suivre une scolarité quand c’est très difficile de se faire accepter comme on est. Heureusement, Ghislain n’est pas tout seul face à ses parents, la solidarité existe, à travers son pote Mounir et la mère de celui-ci. L’histoire se passe à Marseille, un décor discret mais essentiel, comme le lecteur s’en apercevra peu à peu… Il se passe beaucoup de choses, dans ces 95 pages au ton très juste, des tristes et des plus heureuses, jamais en rose bonbon mais avec un optimisme mesuré : à l’image de la vie elle-même ?