Peux-tu nous décrire l’ado que tu étais en 1994 ?
En 1994, j’étais un garçon réservé et timide mais j’avais des ami-e-s (majoritairement des filles). Mon seul ami garçon était fan de Madonna et avait un look très queer. Je l’admirais beaucoup car, contrairement à moi, il vivait sans se soucier du regard des autres. Au lycée, j’étais fou amoureux d’une fille de ma classe, mais avec le recul, je me dis que cette attirance me permettait surtout de ne plus me poser trop de questions : les garçons m’attiraient depuis le collège mais je refoulais ces sentiments. Venant de la campagne, ma vision de l’homosexualité n’était pas très positive, les seules représentations que j’en avais étaient des reportages télé sur la gaypride, ponctués par des commentaires désobligeants de mon entourage.
A quel moment as-tu fait ton coming-out ?
J’ai mis plusieurs années à accepter qui j’étais. Un jour j’ai enfin pu me regarder dans le miroir et me dire ”oui je suis gay, c’est ma vie, maintenant je fonce.” Décider de faire mon coming-out, c’était peut-être accepter de perdre des ami-e-s ou des membres de ma famille, c’était surtout me permettre enfin de vivre, d’être libre dans ma tête, clair avec tout le monde et encore un peu plus avec moi. J’avais 25 ans, lorsque je l’ai annoncé à un de mes plus proches ami-e-s par téléphone. J’avais bu quelques verres avant pour me donner du courage. Étant lui-même gay, il a été surpris parce que je lui avais dit que j’étais hétéro, mais compréhensif. J’ai aussi écrit une lettre à ma meilleure amie pour le lui dire. C’est lors d’un repas que j’ai parlé à ma mère et mon frère, qui ont bien réagi. Par contre, quelques semaines plus tard, quand ça a été le tour de mon père, il s’est dit ”déçu”. Heureusement, ma mère a réagi : elle a pris les devants, en remettant immédiatement à sa place toute personne de la famille qui avait quelque chose à redire au sujet de mon orientation sexuelle. Je n’ai plus rien eu à faire de ce côté-là ! Je ne le savais pas encore, mais une fois le premier choc passé, ça avait déclenché chez elle un déclic, comme si elle avait pris conscience que l’on pouvait prendre sa vie en main, sans se soucier du regard des autres et ainsi assumer quelque chose de pas commun. D’ailleurs, quelques années plus tard, elle a quitté mon père.
Penses-tu que tu l’aurais fait plus tôt si tu étais né plus tard ? Qu’est-ce qui te semble avoir changé entre 1994 et aujourd’hui ?
Les évolutions de la société me font penser que j’aurais accepté qui je suis plus tôt et que j’aurais probablement fait mon coming-out plus jeune. En effet, l’image de l’homosexualité a considérablement évolué en 25 ans. J’ai le sentiment qu’il y a moins d’exclusion, que l’on met moins de temps à s’accepter : les marches des fiertés sont remplies de jeunes. L’arrivée d’internet a permis un accès facilité, entre autres, à de la documentation riche et variée, à une culture LGBT… En 94, les films associaient LGBT avec pornographie, SIDA ou prostitution. Aujourd’hui, je constate plus de bienveillance et d’ouverture dans le cinéma.
Est-ce que tu as en tête des personnalités/célébrités à qui tu pouvais t’identifier à cette époque?
Ado, j’étais fan de Madonna, Elton John, Mylène Farmer et George Michael. Il y avait aussi le comédien Rupert Everett.
Lorsque tu as découvert que tu étais LGBT, vers quelles ressources t’es-tu tourné ?
Quand j’ai pris conscience que j’étais attiré par les garçons, je n’avais personne vers qui me tourner dans mon entourage. Plus tard, lorsqu’un de mes ami-e-s a fait son coming-out, cela m’a aidé à m’accepter. L’accès à internet a aussi été une réelle source d’informations et de rencontres. Au contact d’un ami qui gérait un site internet (aujourd’hui disparu) sur le coming-out, j’ai pu intégrer l’équipe des modérateurs du forum et faire la connaissance d’homos au profil loin des clichés véhiculés par les médias.
Est-ce qu’il y a des séries, films ou livres LGBT qui t’ont marqué quand tu étais ado ?
Grand fan de cinéma, j’enregistrais en cachette des films qui passaient notamment sur Arte, et j’attendais que toute la maison soit endormie pour les regarder : Les Roseaux sauvages, The Celluoid Closet, Love! Valour!Compassion!, Drôle de Félix, Billy’s Hollywood Screen Kiss… J’enregistrais aussi des clips musicaux comme Un point c’est toi de Zazie.
Puis au début des années 2000, il y a eu le téléfilm Juste une question d’amour et la série anglaise Queer as folk, qui donnaient une vision complètement différente de l’homosexualité, s’éloignant du schéma narratif “drame psychologique torturé” habituel.
Aurais-tu un conseil à donner aux ados de 2019 ?
Être bienveillant·e et inclusif·ve avec ses camarades LGBT. Toujours se forger son opinion par soi-même, remettre en question celles basées sur le rejet de l’autre.