Une petite ville de France, à la fin des années 1960. On ne sait pas bien où elle se trouve au début. Un garçon se raconte. Il est en fin d’école primaire au départ. Il a trois frères et une sœur, mais c’est un peu compliqué. Son grand-frère adolescent vit reclus dans sa chambre : il n’a pas de père, c’est le préféré de sa mère, il lui rappelle sa jeunesse, tout lui est permis. Le narrateur, lui, doit s’occuper de tout dans la maison, et notamment des trois petits. C’est parfois un peu compliqué avec sa mère… Son échappatoire, c’est d’aller faire du judo au centre culturel.
Au judo, on est toujours, tour à tour, soit uké, soit tori. Tori est celui qui engage l’action, uké est celui qui la reçoit.
Hajimé ! Le combat est lancé. Je veux être tori, commencer, lui faire parcourir le tatami en le tenant solidement, en le contrôlant, et tout à coup le déséquilibrer, le faucher, tomber avec lui, rouler au sol avec lui, et puis par immobilisation, il remporte ou je remporte le combat, advienne que pourra, je serai très fort serré dans ses bras.
Son parfum aujourd’hui est celui de l’amande.
Ceinture jaune commence par ces quelques lignes, où « lui » n’est pas désigné autrement que par ce pronom impersonnel. Mais lui, c’est l’horizon dans ces moments de bonheur que sont les cours de judo. Lui avec qui il partage tant de choses, de pensées, d’émotions, et ces corps à corps qui valent surtout pour l’étreinte. C’est leur rituel, qui commence par le déshabillage dans les vestiaires et qui se finit quand ils rentrent ensemble, discutant de tout ce qui leur traverse la tête. Tous les deux sont fascinés par le Japon (à l’époque, pas de mangas, pas de sushis, c’est le judo et le souvenir des bombes atomiques qui donnent un avant-goût du pays). L’un voudrait être peintre, l’autre s’imagine parfois écrivain. Mais ils ont la vie devant eux.
Et la vie, ce sont les banlieues HLM, toutes neuves et qu’on multiplie à toute vitesse. C’est Mai 68, qui vient d’embraser les esprits et chahute les relations entre les parents et les enfants. Mais pas dans la famille du narrateur, dont le père est militaire et la mère désabusée, parfois menaçante… Pour le jeune héros, la vie est précaire, instable, on ne sait jamais ce qu’on peut perdre. Même lui, son meilleur ami, il pourrait le perdre un jour. Alors à quoi bon trop s’attacher ? Bientôt, il y aura la sixième, peut-être une nouvelle vie. C’est important d’être avec lui au judo, mais jusqu’à quand ?